Voyage Apostolique en Autriche (23 - 27 juin 1988)
Discours au Président de la République d’AUTRICHE, S.E.M. Kurt WALDHEIM, aux autorités politiques et au Corps diplomatique*
23 juin 1988
Monsieur le Président de la République, Monsieur le Chancelier, Mesdames, Messieurs,
1. Après l’émouvante cérémonie religieuse qui vient de se terminer à la cathédrale de Vienne, j’ai la joie toute particulière de vous présenter mes salutations dans ce cadre fastueux, à vous-même, monsieur le Président, aux membres du gouvernement fédéral et aux autres représentants de la République d’Autriche. C’est de tout cœur que je vous remercie de l’accueil privilégié que vous me faites et du grand intérêt que vous avez bien voulu porter à mon deuxième voyage dans votre pays dès le moment où celui-ci fut annoncé. Les préparatifs importants entrepris entre autres du côté des pouvoirs publics pour assurer le bon déroulement de cette visite pastorale contribueront dans une large mesure à ce que les différents lieux restent gravés dans nos mémoires.
Cette coopération généreuse et notre rencontre d’aujourd’hui mettent en évidence une fois de plus les bons rapports qui existent depuis longtemps entre l’Autriche et le Saint-Siège. Sur la base du droit garantissant la liberté de religion et de conscience, ancré dans votre Constitution, et des dispositions inscrites dans le Concordat, l’Église catholique d’Autriche a pu s’épanouir et prospérer. Des chrétiens catholiques ont été les auteurs de réalisations remarquables dans les moments de bonheur aussi bien que de malheur de votre pays. En cette année 1988, je voudrais évoquer le souvenir du chemin des souffrances que l’Autriche s’est vu imposer, avec d’autres peuples, dans l’assujettissement au joug d’une tyrannie cruelle du passé récent. Parmi les nombreuses personnes persécutées pour des motifs religieux, racistes ou politiques, on compte de nombreux catholiques prêtres, religieux et laïcs.
2. L’actuelle Constitution démocratique de votre État et le régime de liberté qui y est garanti sont un patrimoine précieux qu’il s’agit de conserver jalousement et de développer activement. En dépit du pluralisme idéologique prédominant dans le monde contemporain, la vie en Autriche continue à être fondamentalement imprégnée de valeurs chrétiennes. Une liberté bien comprise n’est pas synonyme de laisser-aller et de permissivité, mais signifie le droit de faire le Bien, comme l’a si bien exprimé un théologien (Jean de Salisbury).
Le Bien, auquel la devise de ma visite pastorale voudrait à nouveau encourager les hommes et les femmes dans ce pays, est le «oui à la vie» dans toutes ses dimensions. Quant à l’Église, ce oui que lui inspire sa foi est un oui clair et sans réserve, prononcé dans la solidarité avec la société au milieu de laquelle elle œuvre. Mais, dès que certaines dimensions de la vie sont menacées d’être tronquées, elle se sent aussi l’obligation d’assumer le service prophétique de la contradiction, que ceci plaise ou non.
Notre oui à la vie doit englober un oui à la liberté et à la dignité humaine, le oui à la tolérance, le oui à la justice et à la paix. Un oui à la vie ainsi compris exclut toute persécution ou diffamation du prochain qui pense autrement que nous. Il demande la reconnaissance du droit à la vie de tout homme et la reconnaissance du fait que la liberté de l’un se termine la où commence la liberté de l’autre. La justice et le bien commun sont de toute évidence les objectifs essentiels qui doivent gouverner l’action de l’homme dans la vie nationale et internationale. Le Concile Vatican II dit dans la Constitution pastorale Gaudium et spes. «L’ordre social et son progrès doivent toujours tourner au bien des personnes, puisque l’ordre des choses doit être subordonné à l’ordre des personnes et non l’inverse» (n. 26.). Un tel ordre à la mesure de l’homme commence par la protection de la vie avant la naissance, demande le respect du mariage et de la famille, la protection de l’emploi, le dialogue pour créer la confiance ainsi que la concertation dans tous les domaines possibles de la vie en commun. Si le respect de la dignité et des droits fondamentaux de l’homme est placé au centre de notre action, il sera possible de trouver un règlement juste et équitable même aux antagonismes, voire de les éviter a priori, en s’élevant au-dessus des intérêts égoïstes, des frontières entre partis et des frontières nationales.
3. Les efforts de l’Autriche pour la promotion de la paix fondée sur la justice à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, son engagement pour la sauvegarde des droits de l’homme, son aide portée a tant de réfugiés et sa solidarité avec les grands problèmes des peuples du Tiers Monde tout ceci mérite le respect de la communauté internationale pour votre pays. L’Église catholique d’Autriche, unie dans ses efforts avec l’Église mondiale, s’est faite l’avocat actif de ces préoccupations et continue à être prête à œuvrer dans cette coopération entre partenaires. Même si l’Autriche n’est pas plus à l’écart des difficultés économiques croissantes que d’autres pays, je suis néanmoins sûr que vous ne cesserez pas de tendre la main, à l’avenir comme dans le passe, à nos frères humains dans la détresse, d’ou qu’ils viennent. Que votre pays veuille bien maintenir la porte ouverte a ceux qui se voient obligés de quitter leur patrie dans des circonstances tragiques.
L’Autriche est bien consciente de sa chance et de son devoir d’être un pont au cœur de l’Europe et déploie dans ce but des efforts exemplaires dans les domaines de la politique et de la culture. Il ne faut jamais se résigner à ce que des États ou des peuples, surtout quand ils sont voisins, se comportent l’un à l’égard de l’autre comme s’ils étaient des étrangers indifférents n’ayant rien en commun. Notre continent européen dans son ensemble a besoin d’un processus créatif de renouveau pour une Europe unie. L’Église peut fournir une contribution importante à cette œuvre de médiation et de compréhension. La foi chrétienne est une force vive qui dépasse les frontières de par ses origines dans tous les pays d’Europe. Comme je l’ai souligné dans l’allocution que j’ai adressée en octobre 1982 aux participants au 5ème Symposium du Conseil des Conférences épiscopales européennes à Rome, l’Église et l’Europe sont deux réalités étroitement liées dans leur essence et leur finalité. Elles ont fait route en commun pendant des siècles et gardent l’empreinte d’une même histoire. L’Europe a été tenue sur les fonts baptismaux par le christianisme, et les nations européennes dans leur diversité ont incarné l’existence chrétienne. Dans leur rencontre elles se sont enrichies mutuellement et se sont conféré des valeurs qui sont devenues non seulement l’âme de la culture européenne, mais le patrimoine de l’humanité tout entière. C’est cette identité chrétienne et cette unité intérieure qu’il s’agit de redécouvrir en commun et de faire fructifier à nouveau pour l’avenir du continent et du monde. L’Église s’efforce de fournir sa contribution pour atteindre ce but par les efforts renouvelés d’une sorte de nouvelle évangélisation des peuples européens.
4. Mesdames et messieurs: servir les hommes, voilà le mandat conféré à ceux qui gouvernent. Cette tâche résulte du nom même de la distinguée fonction de ministre. Le service de l’homme est aussi la mission et la volonté de l’Église et de tous les véritables chrétiens qui en font partie. Plus l’Église opte résolument pour le service de Dieu, plus elle est au service sans réserve des hommes.
Si les détenteurs des plus hautes responsabilités gouvernementales et les pasteurs de l’Église coopèrent au bien-être de l’homme, dans le respect de l’autonomie de l’État et de l’Église, ils remplissent ainsi la mission qui leur est propre dans une dimension importante. Les grandes questions et les grands problèmes qui se posent à l’heure actuelle à la société dans son ensemble et qui se poseront demain peut-être de manière encore plus urgente rendent particulièrement désirable une telle coopération ouverte et basée sur le respect mutuel.
Dans l’espoir que la concertation entre partenaires telle qu’elle est déjà pratiquée ici en Autriche entre Eglise et Etat puisse se développer pour le bien-être des hommes, je vous apporte, monsieur le Président de la République et monsieur le Chancelier, mesdames et messieurs qui êtes investis de responsabilités importantes en votre qualité de membres du gouvernement fédéral autrichien ou d’une autre institution de l’Etat et de la vie publique, mes meilleurs vœux personnels. Je joins à ces vœux ma prière à la Sainte Trinité : qu’elle veuille continuer à protéger et à bénir ce pays et son peuple.
*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.27 pp. 6, 7.
La Documentation catholique n.1967 pp. 766-767.
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