DISCOURS DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II
À S.Exc. M. JEAN-LOUIS LUCET,
NOUVEL AMBASSADEUR DE FRANCE PRÈS LE SAINT-SIÈGE*
Lundi 13 novembre 1995
Monsieur l’Ambassadeur,
C’est avec grand plaisir que j’accueille Votre Excellence à l’occasion de la présentation des Lettres qui l’accréditent en qualité d’Ambassadeur de France près le Saint-Siège. Comme vous l’avez dit et comme Monsieur le Président de la République s’est plu à le souligner dans le message qu’il a eu la délicate attention de m’adresser le mois dernier, les relations du Saint-Siège et de la République Française sont marquées par la confiance et appelées à se développer dans le sens d’une collaboration toujours plus étroite et toujours plus harmonieuse.
Vous avez bien voulu rappeler, Monsieur l’Ambassadeur, que la défense des vraies valeurs n’a cessé d’être un souci permanent du Saint-Siège. Je tiens à vous remercier vivement, ainsi que les Autorités que vous représentez, pour l’attention renouvelée à la mission du Siège Apostolique, dont vous venez de rappeler avec vigueur quelques aspects les plus marquants, dans la défense du droit des personnes et des peuples, dans la promotion de la justice, de la liberté et de la paix.
A l’heure où l’homme risque de devenir l’esclave de techniques que Dieu lui a permis d’inventer, il importe de redire, avec l’ensemble de la tradition humaniste dont votre pays peut être justement fier, que «science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Ainsi, les positions récemment prises par le Saint-Siège lors de la conférence de Pékin n’ont eu d’autre objet que d’aider les instances internationales à se doter de dispositions législatives qui soient réellement au service du développement de toute personne et de l’institution familiale qui demeure le pivot de la vie sociale. Jamais le Successeur de Pierre et l’ensemble de l’Eglise ne pourront se résoudre à voir l’être humain, pour qui le Christ a donné sa vie, amoindri dans sa dimension spirituelle, personnelle et sociale ou réduit à un simple objet d’expérimentation. C’est dans cet esprit que l’Eglise vit sa mission prophétique, appelant à ce que vous venez de nommer la «résistance spirituelle» et le «courage dans la défense des valeurs». Sans doute les incompréhensions sur la position de l’Eglise en cette matière ne manqueront-elles pas, mais il demeurera toujours indispensable d’aider l’homme à rester fidèle à sa vocation d’être spirituel, fait pour la vie, par Dieu et pour Dieu. Dans cet esprit, je salue les efforts qui sont réalisés dans votre pays pour aider les personnes et les familles en difficulté. Dans l’adversité, il importe que tous les membres de la communauté nationale fassent preuve d’une solidarité et d’une charité toujours plus grandes, en ayant le cœur ouvert pour répondre aux détresses humaines.
Par son histoire et par sa position géographique, votre pays est ouvert sur le monde, en particulier sur le continent africain. Vos compatriotes ont été nombreux à quitter leur patrie pour venir en aide aux pays en voie de développement, pour les accompagner dans la recherche d’une vie sociale toujours plus autonome et plus démocratique, pour leur fournir les assistances techniques, sanitaires et éducatives nécessaires à leur épanouissement. Monseigneur Eugène de Mazenod, que je canoniserai prochainement, en est un exemple. Cette longue tradition de présence française en Afrique a rendu votre pays particulièrement sensible au calvaire des populations déchirées par la guerre civile et par les multiples conflits ethniques. Tout spécialement, je n’oublie pas les efforts déployés, lors de la tragédie vécue par le Rwanda, pour venir en aide aux victimes civiles. Le Saint-Siège, qui pour sa part apporte sa contribution au développement du continent africain, sait qu’il peut compter sur le gouvernement français et sur la générosité de la France pour continuer à venir en aide aux pays en voie de développement. A long terme, l’aide et la formation des peuples autochtones constituent une réponse appropriée pour l’affermissement de la paix et pour le règlement des conflits ethniques qui ensanglantent encore l’Afrique.
On ne peut passer sous silence les conflits meurtriers qui se déroulent à nos portes depuis de trop nombreuses années. Des hommes et des femmes sont bafoués dans leur dignité personnelle la plus fondamentale. A ce propos, je garde présents à l’esprit les récentes interventions et les courageux engagements des Autorités françaises et de leurs compatriotes pour apporter l’aide généreuse aux populations martyrisées et pour favoriser la recherche de la paix en Bosnie-Herzégovine, qui doit désormais constituer pour l’ensemble de la communauté internationale une priorité et une urgence. Une paix durable ne peut advenir sans que soient véritablement prises en compte les aspirations des peuples et que soit favorisée la convivialité entre les cultures.
Cette année, l’Eglise en France fête le centenaire de plusieurs de ses prestigieux lieux d’enseignement universitaire, qui a permis de faire connaître largement la culture française sur tous les continents, et en particulier à Rome dont vous venez d’évoquer la riche présence d’établissements qui portent le flambeau de la vie intellectuelle de votre pays. Vous savez l’attachement de l’Eglise à l’éducation de la jeunesse et à la recherche scientifique, qui participent à la formation humaine et spirituelle des générations futures et qui permettent à nos contemporains de découvrir le sens de l’existence personnelle et communautaire, ainsi que leur responsabilité spécifique dans la gestion des affaires du monde. Dans ce sens, les catholiques de France ont à cœur de participer activement à la vie publique et de servir leur pays, dans le respect des sensibilités différentes qui forment le tissu social français, en s’appuyant sur les valeurs fondamentales qui sont, depuis les débuts de l’ère chrétienne, le trésor commun du peuple de France. En effet, la richesse culturelle et spirituelle française, et plus largement européenne, repose sur le sens et la dignité de toute vie humaine, sur la place de la famille pour l’édification de la société. Aujourd’hui plus qu’hier, alors que les liens entre les générations tendent à s’estomper, les jeunes ont besoin, pour se développer intellectuellement, psychologiquement et spirituellement, d’un foyer stable où ils reçoivent l’affection et où ils apprennent, à travers le témoignage de leurs aînés et grâce à l’éducation, les valeurs nécessaires à leur vie personnelle et à une vie conviviale avec toutes les personnes qui composent la société. C’est pourquoi je souhaite que l’Eglise catholique, consciente de ses responsabilités dans la recherche du bien commun, trouve toujours mieux sa place dans la société française et, en particulier, que les moyens de communication sociale aient le souci de contribuer à faire connaître son véritable visage.
Je n’oublie pas que votre pays est le siège d’une haute instance européenne et qu’elle développe depuis longtemps sa tradition d’ouverture aux autres pays du continent. Permettez-moi de saluer les efforts accomplis pour que se construise l’Europe, une Europe ouverte aux nations qui sortent à peine de cette grande épreuve du communisme. Celles-ci ont besoin d’un soutien vigoureux des Etats ayant une forte tradition démocratique pour réaliser les réformes sociales qui s’imposent, pour mettre en place les structures appropriées et pour donner à leurs citoyens l’éducation civique nécessaire à la prise en main de la res publica. C’est la force de l’Europe de pouvoir unir des peuples, dans le respect légitime des souverainetés nationales et des cultures spécifiques, par la coopération dans les multiples domaines de la vie commune, ainsi que dans le développement de la solidarité et de la charité. En s’engageant résolument dans cette voie, l’Europe ouvrira la voie à une ère de paix sur l’ensemble du continent.
Au cours des deux années à venir, il me sera donné de retrouver avec une joie profonde le sol de votre patrie. Le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis donnera l’occasion de rappeler l’enracinement chrétien de votre nation, sa vocation profonde et la grandeur des saints qu’elle a vu naître. Façonnée par l’annonce du message de l’Evangile, la France doit continuer à assurer à chacun de ses enfants et la liberté de conscience et la possibilité d’avoir un accès direct aux sources de sa Tradition. Ma rencontre avec les jeunes me permettra de les inviter à un nouvel élan dans la vie quotidienne, en leur redisant que le Christ leur fait confiance, qu’il les appelle à être des membres actifs de la société et de l’Eglise, et les responsables de leur vie personnelle, de leur avenir et de l’avenir de leur pays.
Par votre intermédiaire, Monsieur l’Ambassadeur, je veux redire à Monsieur le Président de la République et à tous vos compatriotes combien je fais miennes leurs préoccupations et leurs désirs de construire une société où chaque personne ait sa place, indépendamment de ses sensibilités et de sa croyance, mais où tous participent activement à l’édification de la maison commune.
Vous voici désormais, Monsieur l’Ambassadeur, héritier d’une longue tradition. Votre nom vient s’inscrire à la suite de prestigieux Ambassadeurs de France. Je vous offre mes vœux les meilleurs pour l’accomplissement de votre mission. Je puis vous assurer que mes collaborateurs s’efforceront de vous donner, à vous-même et à tous les membres de votre Ambassade, l’assistance dont vous pourrez avoir besoin. Et, invoquant le soutien de Dieu sur les projets et sur les aspirations de la France, je vous donne très cordialement ma Bénédiction Apostolique, ainsi qu’à vos proches et à tous ceux qui sont appelés à vous seconder dans votre charge.
*Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. XVIII, 2 p.1111-1115.
L’Osservatore Romano 14.11. 1995 p.6.
L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.46 p. 9, 10.
La Documentation catholique n.2128 pp.1072-1074.
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