LETTRE DU PAPE PAUL VI
AU CARDINAL ALEXANDRE RENARD,
ARCHEVÊQUE DE LYON
A notre Vénérable Frère le Cardinal Alexandre Renard,
Archevêque de Lyon
Monsieur, le Cardinal,
A l'occasion du cent-cinquantième anniversaire de la fondation de l’Œuvre de la Propagation de la Foi et du cinquantième anniversaire de son érection en Œ uvre pontificale, vous avez la joie d’accueillir en votre ville épiscopale la Conférence Internationale Missionnaire. Le choix de la cité lyonnaise qui vit naître et mourir Marie-Pauline Jaricot est un nouvel et légitime hommage à cette authentique fille de l’Eglise, si radicalement dévouée à la cause des Missions lointaines, et en même temps si préoccupée par les problèmes du monde ouvrier qui l’entourait.
Nous considérons comme un devoir de notre ministère apostolique de vous adresser, Monsieur le Cardinal, ainsi qu’aux saluts affectueux et nos encouragements. Nous avons déjà souvent eu l’occasion, surtout cette année, d’exhorter tous nos Frères et Fils à ce sujet, mais cette importante commémoration nous incite, de façon particulière, à les confirmer dans cette foi et cet engagement missionnaires, qui appellent aujourd’hui un ressaisissement de toute l’Eglise. Nous souhaitons ardemment que, dans une atmosphère de joyeuse fraternité, d’écoute attentive, de laborieuse réflexion, de vivante prière, ces assises internationales apportent à l’action missionnaire de l’Eglise les éclairages propres à susciter un élan nouveau. Et comment pourrions-Nous ne pas apprécier le thème que vous abordez: le rôle des Œuvres Pontificales Missionnaires comme instruments privilégiés du Collège épiscopal uni au Successeur de Pierre et responsable avec lui du Peuple de Dieu, lui-même tout entier missionnaire? Puisse le souvenir et l’intercession de saint Irénée et des martyrs de Lyon entraîner les congressistes à un sage discernement, au niveau de leurs responsabilités respectives, entre ce qui est essentiel, relié à la vivante tradition de l’Eglise, et chargé d’avenir, et ce qui serait anachronique, ambigu, voire capable de faire obstacle à l’évangélisation!
Nous vous laissons le soin d’évoquer plus amplement la figure, la vie et le rôle spécifique de Marie-Pauline Jaricot. Cette jeune fille sut faire face, dès 1819, à un besoin pressant de l’Eglise et y associer tout le peuple de Dieu: ses vues se sont révélées perspicaces et véritablement prophétiques. A bon droit, l'Œuvre de la Propagation de la Foi, fondée en 1822, reconnaît aujourd’hui toute la part qui revient à l’intuition, à l’initiative et à la méthode de cette laïque lyonnaise. Et si, avec abnégation, elle laissa à d’autres le soin de développer cette Œuvre, elle n’en fut pas moins, selon ses propres paroles, «la première allumette pour allumer le feu».
Mais cette constatation ne saurait suffire. Encore faut-il discerner la source de cette flamme. On sait combien son zèle missionnaire s’alimentait à une vie intérieure profonde: elle se voulait toute disponible à l’amour de Dieu, avec un esprit d’enfance qui préfigurait celui de sainte Thérèse de Lisieux. Et cette générosité mystique, fruit d’une grâce du Sauveur, s’enracinait dans tout un contexte providentiel d’événements et de relations qui l’aidèrent à épanouir cette vocation. Elle lui permit de trouver et d’exécuter sans retard des gestes concrets et courageux: qui ne connaît l’adoption du «sou» sacrifié chaque semaine pour les missions, puis cette organisation géniale des donateurs par dizaines, par centaines, par milliers? Plus que bien d’autres enfin, elle devait rencontrer, accepter et dépasser dans l’amour une somme de contestations, d’échecs, d’humiliations, d’abandons, qui donnèrent à son œuvre la marque de la croix et sa fécondité mystérieuse. Les Congressistes de Lyon sauront reconnaître, dans cette offrande au Christ, ce partage d’Eglise, cet engagement effectif et cette patience évangélique, les caractéristiques essentielles et irremplaçables de l’apostolat.
La semence, modestement jetée en terre par Marie-Pauline Jaricot, est devenue un grand arbre. L’Œuvre de la Propagation de la Foi s’est étendue sans cesse, avec le souci catholique, c’est-à-dire universel, de toutes les missions. Aujourd’hui, elle est organisée en plus de soixante-quinze pays, des cinq continents. C’est une entraide spirituelle et matérielle aux dimensions de l’Eglise. Avec les Œuvres pontificales de la Sainte-Enfance, de Saint-Pierre Apôtre et de l’Union missionnaire du Clergé, reliées à la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, elle constitue, sans exclusivisme, l’expression et l’instrument privilégié de la mission inaliénable de l’Eglise: «répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Eglise» (Lumen Gentium, 1). Le grand rassemblement de Lyon en prendra, nous n’en doutons pas, une vive conscience, et Nous nous unissons de tout cœur à son action de grâces.
Mais vous n’êtes pas réunis seulement pour célébrer les mérites du passé. Avec la même ardeur et le même réalisme qui ont présidé à la naissance et au développement de ces Œuvres, il vous faut regarder en face la situation globale des problèmes missionnaires par rapport à ces Organisations internationales.
La Mission connaît aujourd’hui des difficultés sérieuses. Elle est bloquée en certaines régions, pour des causes extérieures à l’Eglise, qui n’y connaît pas la liberté religieuse qu’elle serait en droit d’attendre. Elle manque aussi d’ouvriers et de ressources. Depuis la première prédication apostolique, il est vrai, ces handicaps furent de tous les temps. Mais ce qui serait plus redoutable, ce serait l’affaiblissement de la conscience missionnaire du peuple chrétien lui-même, aggravé par une incertitude, voire par un criticisme exacerbé.
Dans la charge qu’il Nous est donné d’assumer, Nous n’ignorons rien en effet des griefs périodiquement formulés contre les activités missionnaires de l’Eglise et, par voie de conséquence, contre les Œuvres pontificales qui s’efforcent de les appuyer: un prosélytisme incompatible avec la liberté religieuse, une inattention aux valeurs socio-culturelles des jeunes nations, une sacramentalisation hâtive et excessive, une absence de formation d’un laïcat responsable, une assistance paternaliste, une occidentalisation imposée aux Eglises d’Afrique et d’Asie, etc. . . . Si toutes ces accusations ne sont pas toujours totalement dénuées de fondement et méritent examen, elles ne vont pas non plus sans ambiguïté, parfois même sans injustice. Il est trop facile de juger le passé avec l’absolutisme de certaines analyses sociologiques modernes et, s’il y a crise dans le secteur missionnaire, beaucoup peuvent observer qu’elle se situe moins dans les pays dits de mission que dans les peuples de longue tradition chrétienne.
Pour notre part, grâce aux informations régulières de notre Dicastère pour l’Evangélisation des peuples, mais aussi par les confidences directes et nombreuses que Nous recevons, Nous avons des raisons sérieuses d’être rempli d’admiration et de reconnaissance pour le travail intense, rénové, concerté, persévérant de ceux qui se consacrent à l’apostolat missionnaire. Et notre gratitude est aussi vive pour les fidèles qui les aident de leur amitié, de leurs offrandes, de leurs prières, de leurs souffrances. Il serait singulièrement étrange que les chrétiens laissent à d’autres le soin de bien connaître l’histoire de leur Eglise, et d’apprécier tout le positif de ses activités.
Si l’on regarde maintenant les objectifs à promouvoir, la première fin des Œuvres Pontificales Missionnaires demeure la formation de la conscience missionnaire du Peuple de Dieu. Dans le contexte d’une dévaluation de cet apostolat et d’une intense diffusion d’idéologies et de mœurs qui ignorent l’Evangile ou même le combattent, les disciples du Christ gardent-ils suffisamment la certitude de foi qu’ils ont reçu une Bonne Nouvelle, salvatrice pour tous? Comment accepteraient-ils de la taire? (Cfr. Act. 4, 20) La Conférence internationale de Lyon voudra contribuer, nous en sommes sûr, à remettre cette conviction au cœ ur de toute activité missionnaire. Il suffit de méditer la fin de chaque évangile (Cfr. Matth. 2 8 , 18-20; Marc. 16, 15-20; Luc. 24, 47; Io. 20, 21) ou le début des Actes (Act. 1, 8): l’envoi en mission, jusqu’aux extrémités de la terre, vers tous les peuples, jusqu’à la fin du monde, est présenté comme la conclusion nécessaire de l’expérience privilégiée que les apôtres ont connue avec leur Maître et Seigneur. Le récent Concile y fait si largement écho qu’il est superflu de le citer (Cfr. Lumen Gentium, 17; Ad gentes, 1, 29, 35). Oui, l’Eglise est missionnaire par mandat de son Seigneur, et par sa nature même, comme sacrement universel de salut. Cette mission doit s’accomplir dans l’humilité et le respect de la liberté religieuse bien comprise (Cfr. Dignitatis Humanae, 14); elle n’est ni contrainte ni propagande indiscrète; elle est témoignage actif. Elle vise à susciter la foi, à rassembler les croyants en communautés chrétiennes, les invitant à leur tour à témoigner, bref à enraciner l’Eglise dans tous les milieux.
Les Evêques, successeurs des Apôtres, ont une responsabilité de premier plan dans cette tâche missionnaire (Cfr. Ad gentes, 6), comme «les Douze» l’ont manifesté à l’aurore de l’Eglise (Act. 2, 14). Au corps épiscopal, uni au Successeur de Pierre, incombe donc la charge d’éduquer l’esprit missionnaire du Peuple de Dieu tout entier et de coordonner au mieux ses activités, afin d’annoncer l’Evangile à la totalité des hommes. C’est pourquoi Nous sommes reconnaissant à nos Frères dans l’Episcopat d’avoir, au niveau des conférences épiscopales, des régions apostoliques ou des diocèses, créé des organismes compétents et dynamiques, aptes à réveiller les communautés chrétiennes mal informées ou assoupies, et à ouvrir celles qui sont trop uniquement soucieuses de leurs propres problèmes. Notre joie est d’autant plus grande que Nous voyons des pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, encore aux prises avec de grosses difficultés d’évangélisation, apporter leur propre contribution aux Œuvres Pontificales Missionnaires.
Souligner la charge particulière des Pasteurs, pour eux «très importante et très sacrée» (Cfr. Ad gentes, 29), ce n’est en rien diminuer la responsabilité apostolique de tous et chacun des membres du Peuple de Dieu, prêtres, religieux, religieuses, laïcs. Notre message pour la Journée missionnaire mondiale du 22 octobre de cette année le rappelait en termes pressants. C’est avec l’appui de tous et le charisme spécifique de chaque catégorie de fidèles ou de «mouvements» que pourra s’accomplir la Mission de l’Eglise. Le baptême et la confirmation y appellent chaque membre de l’Eglise. Trop longtemps, et aujourd’hui encore, en s’en est remis aux clercs ou aux âmes consacrées, aux missionnaires, qui ont certes et doivent garder un rôle de premier rang. Mais dans la primitive Eglise, la Bonne Nouvelle a été souvent portée de ville en ville par des chrétiens impatients de partager leur joie et d’aider leurs frères. Faut-il souligner que l’initiative de Marie-Pauline Jaricot était celle d’une jeune fille laïque? Quand l’esprit missionnaire fait défaut dans une communauté chrétienne, c’est non seulement l’Eglise tout entière qui pâtit de ce manque de soutien et de communion, mais c’est cette communauté elle-même qui se voue à l’asphyxie spirituelle. Quels que soient les autres tensions ou problèmes internes, raviver cette flamme demeure un objectif pastoral prioritaire.
Cette urgence de la Mission requiert toutefois un approfondissement continuel qui conduit aux adaptations nécessaires de l’attitude missionnaire traditionnelle. Nous sommes l’heureux témoin de ces efforts et les encourageons de grand cœur.
Tout d’abord, les chrétiens ont davantage pris conscience des «pierres d’attente» contenues dans les diverses cultures ou religions. Ils ont appris à les apprécier; ils réalisent mieux que c’est à travers ce contexte concret que l’Esprit Saint appelle à la foi, bien plus, qu’il est déjà à l’œuvre d’une certaine façon chez ceux qui cheminent loyalement «dans la nuit». Leur prédication, sans rien voiler de la Révélation d’en haut, s’accompagne d’abord d’une attention bienveillante à ce que vivent les personnes et leurs milieux, et d’une patience évangélique pour accompagner leurs longs cheminements et respecter l’authenticité de leurs démarches. N’est-ce-pas le but que le Concile fixait à la Mission de l’Eglise: «Tout ce qu’il y a de germes de bien dans le cœur et la pensée des hommes ou dans leurs rites propres et leur culture, non seulement ne pas le laisser perdre, mais le guérir, l’élever, l’achever, pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme» (Lumen Gentium, 17).
Par ailleurs, l’action missionnaire de l’Eglise ne saurait demeurer insensible aux besoins et aspirations des peuples en voie de développement. Les finalités religieuses ne peuvent faire abstraction des devoirs fondamentaux de la justice et de la charité humaine (Cfr. Message pour la Journée missionnaire mondiale, du 18 octobre 1970, AAS 1970, p. 537; trad. dans La Documentation Catholique, t. 67, Paris 1970, p. 810). L’histoire le montre suffisamment: l’activité missionnaire s’est toujours préoccupée de ceux qui avaient besoin de pain, de toit, d’instruction, de soins. Aujourd’hui cependant, il est demandé aux chrétiens de collaborer avec les autres à ce gigantesque effort de développement que Nous avons encouragé de toutes nos forces dans l’encyclique Populorum Progressio. Nul doute que l’activité missionnaire trouve là un champ d’action plus étendu (Cfr. Ad gentes, 12): elle doit entraîner un authentique développement.
Mais actuellement il serait aussi périlleux de confondre évangélisation et développement, que de les opposer. Toutes les valeurs de justice, de paix, de respect des personnes et des minorités, d’harmonisation des diversités culturelles et raciales, que les chrétiens doivent reconnaître, admirer, promouvoir avec les autres, sont susceptibles de conduire à leur véritable source qui est Dieu. Et un développement intégral postule cette dimension spirituelle. A quoi servirait un progrès technique ou économique, s’il n’était lui-même «converti» selon les principes évangéliques de dignité humaine et d’union fraternelle, si l’homme y venait à «perdre son âme» (Cfr. Message aux peuples de l’Afrique, du 29 octobre 1967, n. 13 et Populorum Progressio, nn. 40 et 41), s’il y oubliait sa vocation plénière, ouverte sur l’absolu? Les pays en voie de développement, qui correspondent souvent aux pays de mission, sont eux-mêmes capables d’enrichir le patrimoine universel de la qualité de leurs relations humaines et de leur sens de Dieu. Limiter volontairement l’action missionnaire aux seuls aspects économiques, sociaux ou culturels du développement serait manquer gravement, non seulement à la vocation de l’apôtre, mais aussi à l’aspiration qui surgit des profondeurs du cœur humain, et en définitive mener l’homme vers une impasse.
Est-il besoin de répéter ici ce que Nous étions amené à préciser dans le message pour la journée missionnaire de 1970: «Nous ne saurions concevoir, nous autres croyants, une activité missionnaire qui ferait de la réalité terrestre son but unique ou principal, et perdrait de vue sa fin essentielle: porter à tous les hommes la lumière de la foi, les régénérer par le baptême, les unir au Corps mystique du Christ, l’Eglise, leur apprendre ce qu’est la vie chrétienne, les ouvrir à l’espérance de la vie de l’au-delà» (AAS 62 1970, p, 537; trad. La Documentation Catholique, t. 67, Paris 1970, p. 810). C’est dire que l’évangélisation doit assurer ou rechercher une annonce explicite de Jésus-Christ. L’assistance technique ne remplace pas l’activité missionnaire. Bref, celle-ci, sans préjuger de l’opportunité des méthodes et des délais, garde comme «fin propre l’évangélisation et l’implantation de l’Eglise» (Ad gentes, 6); elle perdrait sa raison d’être si elle s’éloignait de l’axe religieux qui la conduit. Et les générations qui viennent nous le reprocheraient à bon droit.
Si l’on envisage maintenant les réalisations pratiques, la Conférence missionnaire internationale de Lyon va être un moment privilégié pour partager les très nombreuses expériences suscitées ou encouragées par les Œuvres pontificales missionnaires. Nous vous encourageons, entre autres, à donner une place toujours plus grande aux journées missionnaires. Sérieusement préparées, elles permettent aux chrétiens de porter un regard neuf sur les missions, en font pressentir les besoins, amènent à envisager l’évangélisation locale et l’évangélisation lointaine comme intégrées dans une même pastorale missionnaire dont la source unique est le Christ, éveillent des vocations proprement missionnaires de plus en plus diversifiées, prêtres, religieux, religieuses, membres d’instituts séculiers, laïcs célibataires ou foyers, appelés à coopérer selon la diversité et la complémentarité des ministères et des dons spirituels (Cfr. 1 Cor. 12, 4-11).
Nous apprécions aussi les liens concrets qui vont se multipliant entre les Eglises anciennes et celles qui viennent de naître. Combien d’évêques ont communiqué le souffle missionnaire à leurs diocésains, après être allés partager quelques semaines la vie des communautés chrétiennes d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud! Combien de prêtres, répondant à l’appel de l’encyclique Fidei donum, de religieux, de laïcs missionnaires ou assistants techniques, aident leurs pays d’origine à s’ouvrir aux besoins matériels et spirituels des jeunes Eglises, tandis que celles-ci communiquent de plus en plus aux Eglises qui les ont initiées à la foi leurs propres richesses spirituelles.
L’entraide spirituelle reprend alors toute sa vigueur, et vous savez le rôle prépondérant, à cet égard, de l’Œuvre de la Propagation de la Foi. Cette solidarité dans la prière traduit, dans toute sa profondeur, la merveilleuse communion des saints: c’est là que s’alimente la flamme missionnaire. Qui pourrait évaluer la fécondité mystérieuse des prières montant chaque jour du cœur des fidèles ou des âmes consacrées, des épreuves acceptées avec amour, des renoncements volontaires offerts au Seigneur, pour qu’il bénisse le travail inlassable des apôtres de l’Evangile, pour que le règne de Dieu arrive en plénitude? Que les Pasteurs ne cessent de rappeler aux Eglises particulières cette communion dans l’intercession et l’action de grâces. N’est-ce-pas l’exhortation que saint Paul adressait déjà à ses correspondants dans chacune de ses épîtres? (Cfr. Eph. 6, 18-20)
Enfin, au plan des ressources matérielles, les Œuvres Pontificales Missionnaires n’ont pas à rougir de solliciter les paroisses, les instituts religieux, les diocèses, qui ont souvent de grandes facilités d’existence par rapport à ceux qui sont dénués de tout, même du minimum indispensable pour assurer le départ ou le soutien de la catéchèse. Il va sans dire que ces collectes doivent être accomplies en parfaite entente avec les responsables de ces communautés et avec un souci de véritable éducation évangélique. A ce niveau toujours délicat des appels à la charité concrète, l’Eglise primitive nous donne encore de précieuses leçons. L’annonce des insondables richesses du Christ ne fut-elle pas la préoccupation majeure de saint Paul? Et pourtant, qui fut plus soucieux d’entraîner ses communautés chrétiennes au partage de leurs biens temporels? (Cfr. Rom. 15, 25-32; 1 Cor. 16, 1-5; 2 Cor. 8, 7-15; 9, 1-15) L’Apôtre, dans son réalisme pastoral, estimait capital de susciter la générosité joyeuse des premiers chrétiens, donnant selon leurs moyens et même au-delà de leurs moyens, pour les «saints» de Jérusalem, à l’image de la libéralité du Seigneur Jésus. N’est-ce pas le même élan de solidarité qui anima Marie-Pauline Jaricot, et les premiers collaborateurs de la Propagation de la Foi, lorsqu’ils prirent conscience des besoins des Eglises d’Extrême-Orient et d’Amérique du Nord, grâce à la Société des Missions Etrangères et à la Compagnie de Saint-Sulpice? A ce moment-là, comme souvent aujourd’hui, les pauvres ont su sacrifier de leur nécessaire, plus que les riches de leur superflu.
Depuis lors - et c’est le mérite des premiers fondateurs de la Propagation de la Foi dès 1822 - le partage s’est élargi à toutes les nations, et au bénéfice de toutes les missions. S’il devait se ralentir, ce serait un grand dommage pour la vitalité missionnaire, alors que le nombre des diocèses pris en charge par la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples est passé, en l’espace de vingt-cinq ans, de 560 à 840. Nous devons vous le confier: dans l’exercice de l’année passée, faute de ressources, de très nombreuses requêtes missionnaires ont dû être ajournées. Une telle situation comporte, pour les diocèses et instituts qui connaissent l’aisance, un appel évangélique à mesurer encore davantage leurs propres dépenses. Nous les exhortons de façon pressante à cette révision de vie; le Saint-Siège lui-même, pour sa part, s’efforce et s’efforcera toujours plus d’accorder cette aide prioritaire aux Missions. S’il s’avère difficile d’obtenir, au niveau du monde, cette réduction des inégalités criantes, en faveur d’un développement solidaire, comme Nous l’avons souhaité dans Populorum Progressio (Cfr. Populorum Progressio, 51, 64, 80), serait-il donc impossible de l’envisager entre frères chrétiens, membres du même Corps mystique du Sauveur? (Cfr. Io. 17, 21) Dans le sillage de Marie-Pauline Jaricot, toute l’Eglise est invitée à cet engagement concret. Et les hommes croiront plus facilement à une Eglise qui fait ce qu’elle dit (Cfr. Matth. 21, 1-4).
C’est en définitive ce sens de l’universalisme que veulent promouvoir les Œuvres Pontificales Missionnaires, rénovées dans leurs structures conformément aux orientations pastorales du Concile Vatican II. C’est cet universalisme que la Conférence internationale de Lyon est appelée à mettre en lumière. N’est-ce pas la raison qui décida notre Prédécesseur Pie XI, en 1922, à faire de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, déjà maintes fois encouragée, une «Œuvre pontificale», un «organe propre du Siège Apostolique» (Romanorum Pontificum), manifestant ainsi son étroite union avec celui qui porte, à la tête du Collège épiscopal, la sollicitude de toutes les Eglises? Et aujourd’hui plus que jamais, dans le contexte des nations récemment parvenues à l’indépendance - de très nombreux témoignages des jeunes Eglises Nous le confirment - cette décision, ainsi que le transfert subséquent à Rome du Siège de l'Œuvre, se sont révélés d’une importance capitale. Une telle situation permet en effet d’éviter des équivoques, de garantir l’indispensable liberté des communautés chrétiennes au plan national et ethnique, de recueillir et de répartir plus équitablement l’ensemble des subsides, avec la gratuité, le désintéressement, l’indépendance, l’universalisme qui conviennent à l’Eglise. De notre côté, Nous avons tenu à ce que les Œuvres Pontificales Missionnaires exercent ce service en liaison avec tous nos Frères dans l’épiscopat, et avec la participation active de leurs représentants.
Au terme de ce Message, où Nous avons voulu vous faire partager simplement notre reconnaissance, nos soucis et notre espérance de Pasteur universel, Nous invitons tous les participants de la Conférence Internationale Missionnaire à s’élever au-dessus des visions partielles, à surmonter les difficultés inhérentes à la Mission et à regarder ensemble l’œuvre positive d’évangélisation que le Seigneur confie aujourd’hui à toute son Eglise. Puissent-ils raviver en eux les sentiments de l’Apôtre des Nations, au seuil de la Macédoine! (Cfr. Act. 16, 9) Puissent-ils reprendre à leur compte et redire à leurs frères l’appel symbolique que Nous lancions au monde des Iles Samoa, le 29 novembre 1970, au milieu des valeureux missionnaires d’Océanie! (Cfr. AAS 63, 1971, pp. 48-50, trad. dans La Documentation Catholique, t. 67, 1970, p. 1122) C’est l’amour du Seigneur qui nous convoque et nous envoie, comme en une nouvelle Pentecôte. Caritas urget nos.
Nous vous remercions, Monsieur le Cardinal, d’être notre fidèle interprète auprès de tous les Congressistes. Avec nos vœux cordiaux, Nous vous adressons, comme à tous ceux qui vous entourent et, à travers eux, à tous ceux qui apportent leur généreuse collaboration aux Œuvres Pontificales Missionnaires, notre Bénédiction Apostolique.
Du Vatican, le 22 octobre 1972.
PAULUS PP. VI
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