DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS DE
L’ASSOCIATION EUROPÉENNE DES CARDIOLOGUES PÉDIATRES
Vendredi 12 mai 1967
Chers Messieurs,
Comme notre vénéré prédécesseur Jean XXIII le fit en 1960 en accueillant les participants de votre IIIème Congrès, Nous sommes heureux de vous souhaiter à Notre tour la bienvenue dans Notre demeure, à vous qui êtes venus de toutes les parties d’Europe et d’Amérique du Nord participer à Rome aux travaux du cinquième Congrès de l’Association européenne des cardiologues pédiatres. Nous voudrions profiter de cette rencontre pour répondre, ne fût-ce que brièvement, aux graves questions d’ordre moral que vous vous posez et que votre illustre interprète vient d’évoquer.
Ces problèmes de conscience ne concernent d’ailleurs pas seulement les spécialistes que vous êtes de la physiopathologie cardiologique de l’enfant ou de la chirurgie des cardiopathies infantiles, mais ils intéressent la médecine en général.
Comment concilier, sur le plan moral, les besoins de chaque malade pris individuellement et les exigences d’ordre hygiénique et sanitaire de la communauté humaine prise dans son ensemble? Comment résoudre le dilemme qui se pose à la médecine d’aujourd’hui: en voulant sauver ou prolonger à tout prix des vies humaines amoindries et affaiblies par la naissance ou la maladie, ne risque-t-on pas d’imposer à la collectivité, nationale ou mondiale, un fardeau qui menace de mettre en cause son équilibre économique, social et humain, spécialement dans les pays en voie de développement?
Graves questions, assurément! Et Nous ne prétendons pas leur donner, ici devant vous, une réponse exhaustive et définitive. Veuillez ne voir dans Nus paroles que des points de référence, des orientations, des directives susceptibles de stimuler vos recherches ultérieures en vue d’une solution satisfaisante pour les esprits comme pour les cœurs.
Vous n’ignorez pas, chers Messieurs, comment et combien les pontifes romains ont eu à cœur de rappeler et de répéter inlassablement, surtout en ces dernières décades, quels sont et demeurent à tout jamais les fondements d’un ordre humain respectueux à la fois de la personne et de la communauté, de chaque homme et de l’ensemble des membres de la famille humaine.
C’est à la lumière de cet enseignement qu’il faut s’efforcer de résoudre le cas de conscience que vous et beaucoup de vos collègues médecins vivez en cette heure difficile de l’histoire.
Cette heure est marquée par la conscience que prend l’humanité de son unité et de sa solidarité, de l’interaction de tous les problèmes majeurs qui se posent à elle, de l’interdépendance des personnes et des peuples à tous les plans de la vie collective. C’est dans ce vaste cadre qu’il convient de situer vos problèmes. A une interrogation à l’échelon mondial, il faut donner une réponse de même dimension. Mais la considération de l’aspect communautaire du problème ne pourra jamais s’imposer au point de prévaloir sur les prérogatives inaliénables de la personne humaine.
Tout être humain en effet, vous en êtes bien convaincus, est une personne. Comme tel, il est sujet de droits et de devoirs universels et inviolables (cf. «Pacem in terris» , A.A.S. 1963, p. 259). Parmi ces droits figurent le droit à l’existence, et en conséquence le droit à l’intégrité physique, à la sécurité en cas de maladie.
Et ce droit à la vie entraîne pour chaque individu, et pour la société entière, le devoir de la conserver, même au prix de grands et lourds sacrifices.
Le bien commun universel ne saurait en effet se concevoir et se définir sans cette référence primordiale à l’individu considéré comme personne, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est cette vérité première que l’homme est, selon l’expression de Pie XII, «le sujet, le fondement et la fin» de la vie en société, (Radiomessage de Noël 1944, A.A.S. XXXVII, 1945, p. 12) qui doit servir de norme suprême à toute éthique fondée sur la raison, et à toute déontologie médicale.
Il est donc normal, Nous semble-t-il, que dans l’aspiration universelle des hommes à un développement intégral et solidaire (cf. «Populorum progressio», passim), tous ceux qui sont investis de quelque responsabilité - comme c’est votre cas - aient à coeur de tout mettre en œuvre pour réduire les grands fléaux qui pèsent sur l’humanité: la misère, la faim et la maladie. Et si parmi les nombreux impératifs de l’heure il fallait assigner des urgences et des priorités, c’est précisément aux faibles, aux pauvres et aux infirmes qu’il faudrait les accorder.
Mais cela, Nous Nous en rendons bien compte, ne fait que rendre encore plus difficile la solution de votre problème: comment concilier le respect dû à chaque personne avec les contraintes qu’impose aujourd’hui la vie en société?
Nous n’ignorons pas non plus que les dépenses qui s’inscrivent au chapitre de la santé se font toujours plus lourdes pour les collectivités; et on peut prévoir qu’il deviendra nécessaire, dans un proche avenir, de procéder en ce domaine à des Options et à des choix décisifs. Suivant quels critères s’exerceront ces choix?
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de manifester, à la suite de Nos prédécesseurs immédiats, ce qui pourrait être une possibilité ou amorce de solution. Elle consisterait dans la réduction progressive, simultanée et généralisée des armements militaires. En mettant fin à cette course épuisante, devenue à l’heure présente, comme Nous l’avons dit ailleurs, un «scandale intolérable» («Populorum progressio», n. 53), des sommes importantes pourraient être investies dans la construction d’hôpitaux, dans l’aménagement sanitaire des territoires en voie de développement, pour la formation du personnel médical nécessaire.
C’est donc sans nul doute en respectant la valeur sacrée de la vie, de la vie de chaque homme, la dignité de la personne, fût-elle malade ou infirme, que vous resterez les dignes continuateurs des générations de médecins dont l’honneur suprême a été de conserver et de défendre le bien le plus précieux de l’homme: la vie.
Ce sera également votre honneur d’essayer, par les moyens qui sont les vôtres, d’éclairer à ce sujet l’opinion publique et de faire mieux comprendre aux gouvernants leurs responsabilités. Car votre profession, par ses implications multiples sur le plan social et civique, peut contribuer à promouvoir à la fois, dans une heureuse harmonie et un juste équilibre, la cause des individus et celle de la société.
Puissent ces quelques remarques, chers Messieurs, vous stimuler dans vos recherches, et vous aider à poursuivre votre noble mission au service de l’enfance souffrante! Regardez chaque malade, chacun de ces petits qui vous est confié, avec le regard de celui qui a été l’ami des enfants: Jésus-Christ. Tout ce que vous aurez fait au plus petit parmi les enfants des hommes, sachez que c’est au Christ lui-même que vous l’aurez fait! (cf. Matth. 25, 40).
Nous ne voudrions pas prendre congé de vous sans invoquer de grand cœur sur les travaux de votre Congrès, comme sur vos personnes, une particulière abondance de grâces. En gage de celles-ci et en témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons, ainsi qu’à vos familles, à vos collègues et aux malades dont la vie est confiée à vos soins, une paternelle Bénédiction Apostolique.
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