MESSAGE DU PAPE PAUL VI,
SIGNÉE PAR LE SECRÉTAIRE D’ETAT,
À L’OCCASION DE LA IV ASSEMBLÉE DU
«MOUVEMENT INTERNATIONAL D’APOSTOLAT
DES MILIEUX SOCIAUX INDÉPENDANTS» (MIAMSI)
Lundi 27 septembre 1976
Monsieur le Président,
Répondant à la requête qu’au nom du «Mouvement International d’Apostolat des Milieux Sociaux Indépendants» vous avez adressée au Saint-Père, à l’occasion de la IV Assemblée générale de ce mouvement, ce message veut être l’expression de la confiance et de l’intérêt pastoral que le Souverain Pontife porte au MIAMSI et à sa mission d’évangélisation.
Celle-ci concerne en effet des milieux sociaux qui assument dans l’Eglise et dans le monde d’aujourd’hui de grandes responsabilités. Les profondes mutations qui s’opérant dans la société moderne affectent gravement ces milieux et les ébranlent dans leur situation tant au plan familial que social. Il n’est pas jusqu’aux convictions religieuses de beaucoup de chrétiens de ces groupes sociaux qui ne soient troublées par les évolutions et les tensions excessives qui se manifestent dans la vie de l’Eglise. Un profond besoin de foi et d’espérance se fait sentir: le MIAMSI, par ses membres, peut contribuer et contribue, sans nul doute, à y répondre.
Cette IV Assemblée générale sera l’occasion d’une prise de conscience nouvelle à cet égard en raison même du thème de réflexion qu’elle se propose: «Politique, Economie, Culture: défis à notre Foi?». Les délégués de votre mouvement implanté maintenant dans la quasi-totalité des continents pourront témoigner de l’importance de cette interrogation dans leur vie. Ce large éventail de participation invite votre assemblée à une vision internationale et diversifiée des questions qui lui sont posées à ce sujet.
La foi et la préoccupation apostolique communes qui animent vos délégations seront garantes de l’écoute et de l’accueil mutuels qui doivent marquer vos échanges.
Cette rencontre a déjà fait l’objet, dans les Equipes, d’une importante préparation et de rapports qui témoignent amplement de la façon dont les problèmes sont perçus dans les associations nationales. Il vous appartient, non seulement de rapprocher ces visions fragmentaires, mais d’en dégager le sens et encore plus de chercher ce que le Christ attend des chrétiens en ces domaines.
Pour contribuer à cet éclairage, sans entrer dans le détail des questions propres à chacun de ces domaines politique, économique, culturel, il semble important de dégager quelques lignes maîtresses susceptibles d’introduire et d’encadrer votre réflexion: les références à méditer, le spécifique de la foi et du temporel, leur distinction et leurs rapports mutuels, les conditions d’intervention de l’Eglise et de ses mouvements dans les structures de la société, l’action apostolique de votre mouvement.
RÉFÉRENCES À MÉDITER
Assurément votre vaste programme rejoint trois dimensions de l’activité humaine en ce monde qui sont capitales. Le destin et la vie terrestres des hommes et des peuples seront largement influencées dans les décennies à venir par la manière dont l’actuelle génération cherchera à harmoniser ces réalités politiques, économiques et culturelles avec le bien authentique des hommes. La vocation des laïcs catholiques est de contribuer à l’aménagement de ces réalités à la lumière de la foi. Pour cela, l’Evangile apporte un éclairage décisif sur les fins et sur les comportements. Dans son inspiration, l’Eglise a élaboré, surtout depuis un siècle, un enseignement qui donne des principes essentiels. Et plus précisément la Constitution «Gaudium et Spes» du Concile Vatican II a tracé des jalons fondamentaux pour la réflexion chrétienne sur les trois problèmes en question, leur consacrant à chacun un chapitre entier: Essor de la culture, Vie économique et sociale, Vie de la communauté politique. Le Saint-Père a continué de baliser la route en particulier par son Encyclique «Populorum Progressio», sa Lettre «Octogesima Adveniens», et nombre de ses Messages et allocutions hebdomadaires. Voilà des références dont votre Assemblée doit tenir grandement compte.
LE SPÉCIFIQUE DE LA FOI CHRÉTIENNE
Il importe d’abord de bien situer le sens et le contenu de la Bonne Nouvelle évangélique, ou, si l’on veut, le spécifique de la foi chrétienne. Celle-ci nous révèle que la finalité de l’homme est de vivre en fils de Dieu de la vie même de Jésus-Christ son Sauveur au sein de l’Eglise à laquelle il est agrégé par le baptême, et de s’acheminer avec ses frères vers le salut éternel et l’épanouissement plénier que Dieu réserve à ses enfants dans sa gloire.
Cette vocation constitue son éminente dignité; elle comporte des exigences radicales que le «Sermon sur la montagne» a esquissées à tout jamais en traits fulgurants; elle suppose par dessus tout l’amour filial de Dieu qui nous a aimés le premier et un amour du prochain qui traite tout être humain comme un frère. Ce don et cet appel saisissent l’homme où il est, quelque soit sa condition de vie, son appartenance culturelle ou raciale, son environnement social ou politique; dans ce sens l’évangélisation et l’adhésion à la foi ne dépendent pas de la réalisation préalable de telles ou telles conditions temporelles.
DEUX DOMAINES DISTINCTS ET COMPLÉMENTAIRES
Il y a donc une autonomie fondamentale de la foi et des fins de l’Eglise par rapport aux structures qui visent l’aménagement de la vie terrestre des hommes, de leur cité, qui ont leurs lois et leurs valeurs propres en vertu de la création (Cfr. Gaudium et Spes, 36, par. 2).
Cependant il y a des rapports mutuels entre l’Eglise et le monde, un dialogue et des échanges fructueux (Gaudium et Spes, 40). Car l’Evangile est annoncé à des hommes situés dans une culture précise, avec leur langage et leurs coutumes; leurs conditions économiques et politiques importent grandement à l’Eglise en ce sens qu’elles favorisent ou freinent l’épanouissement des valeurs évangéliques. Réciproquement la foi des chrétiens exerce une influence profonde sur la vie des hommes et leurs engagements sociaux: elle les invite à manifester l’amour de Jésus-Christ pour leurs frères humains et à intervenir, au nom de cet amour, pour que la société respecte et promeuve, par ses lois et ses institutions, la dignité des hommes et leur vocation plénière. La Constitution «Gaudium et Spes» concluait de telles considérations par ces termes: «S’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du Règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine» (Ibid. 39, par. 3).
CONDITIONS D’INTERVENTION DE L’EGLISE ET DES MOUVEMENTS
Il est donc bien dans l’ordre de la foi que les chrétiens agissent de telle sorte que la société soit organisée en vue du bien intégral de l’homme et de tous les hommes, selon le plan de Dieu. C’est la vocation propre des laïcs dans l’Eglise, c’est leur responsabilité de chrétiens dans la cité (Cfr. Lumen Gentium, 31). Cela suppose de leur part une assimilation personnelle du message chrétien, en communion avec les Pasteurs de l’Eglise dont c’est aussi la mission d’éclairer les chrétiens aux conditions d’un monde juste, fraternel et pacifique.
Bien des mouvements aujourd’hui ont la préoccupation d’éveiller leurs membres à un témoignage de leur foi au regard des réalités temporelles dans lesquelles ils vivent. L’Eglise les y encourage, mais elle attend de ces mouvements liés à sa mission qu’ils évitent des confusions dommageables.
Ce n’est pas au nom de la Foi, au nom de l’Evangile, que l’on peut proposer telle solution concrète en politique ou en économie. Il n’appartient ni à l’Eglise, ni à un mouvement apostolique de l’Eglise qui veut vraiment concerner les chrétiens de tout un milieu social, au plan national ou international, de formuler de schémas de société, de se prononcer pour ou contre telle organisation technique qui peut légitimement faire l’objet d’appréciations diverses chez les chrétiens. Un véritable pluralisme d’options et de choix temporels compatibles avec les principes évangéliques doit être respecté. Ces choix concrets se prennent dans des organisations professionnelles, syndicales ou politiques comme telles, sans que l’Eglise soit liée à aucune d’elles.
Mais ce pluralisme ne signifie pas que la foi soit complètement séparée des engagements politiques ou économiques. L’Evangile n’est pas indifférent aux motivations, ni aux moyens ni aux finalités de ces engagements. Et il est au moins un certain nombre de principes qui doivent dans tous les cas inspirer les chrétiens, susciter à l’occasion un témoignage collectif des pasteurs ou du laïcat chrétien en amenant ceux-ci à poser des interrogations ou des critiques à des choix politiques ou économiques en contraste formel avec ces principes. On peut citer au moins la défense, la protection et le soutien des plus pauvres, des plus faibles, des marginaux, des exploités; le respect de la vie de la personne humaine à toutes les étapes de son existence; la priorité accordée à la personne sur les intérêts économiques; le fait de concevoir l’activité politique moins comme un pouvoir que comme un service; la destination universelle des biens de la terre qui ne peut autoriser une minorité à les accaparer au détriment des autres ou à mettre des hommes dans l’incapacité d’accéder à une vie normale.
En ce sens la politique, l’économie et la culture lancent bien un défi à la foi, à l’Eglise, à votre mouvement pour porter témoignage de valeurs chrétiennes au regard de choix temporels sans se laisser enfermer par aucun d’eux.
ACTION APOSTOLIQUE DU MIAMSI
Dans le sillage de ces réflexions, il appartient à votre mouvement de se tracer les voies d’approche aptes à engager les milieux indépendants dans leurs responsabilités sociales, dans le respect de la spécificité et de la finalité apostoliques du MIAMSI. C’est l’édification de l’Eglise qui est première pour celui-ci. Selon sa vocation originelle, il s’inscrit comme instrument d’Eglise propre à éveiller et guider les consciences des personnes pour les aider à réaliser, à travers la gérance des choses temporelles, le dessein de salut que le Christ a formé pour le monde. Votre mouvement les invite à identifier les valeurs et les déficiences de leur milieu social pour découvrir les motivations réelles de ses attitudes vis à vis des réalités politiques, économiques et culturelles.
Loin d’être un pur exercice d’analyse sociologique, ce travail de réflexion en profondeur, entrepris à la lumière de la foi, constitue en vérité un acte essentiel d’apostolat qu’il faut poursuivre. Il vise en effet à déceler, avec les valeurs indéniables et riches de possibilités dont la Providence a dotés ces milieux sociaux, les nœuds d’égoïsme et d’intérêt particulier qui se forment souvent au cœur des personnes pourvues, dans l’épaisseur de leurs habitudes et de leurs solidarités sociales derrière lesquelles elles sont tentées de se retrancher. Cette recherche sincère ne peut qu’ouvrir aux appels de la grâce et à la conversion intérieure, d’où peuvent naître, appliquées aux domaines qui font l’objet de cette réflexion, des initiatives de service et d’engagement inspirées par une foi éclairée?
Dans le même mouvement de libération intérieure et de disponibilité le MIAMSI est appelé à ouvrir le regard et le cœur de ses membres à une vision universelle des besoins des hommes. Il faut souhaiter que son action éducative se vérifie dans l’effort d’attention et d’information que ses membres porteront sur les diverses situations dans le monde, notamment sur les souffrances des peuples pauvres ou privés des libertés essentielles; dans l’accueil qu’ils feront à des langages ou des cultures différents; dans la volonté d’effacement qu’ils manifesteront pour en permettre l’expression; dans l’intérêt ou la participation que les personnes de vos milieux accorderont au travail des institutions internationales chargées de promouvoir le progrès des peuples.
INVITATION À L’ESPÉRANCE
S’il est bien vrai que les grandes interpellations du monde sont un défi à la foi, des chrétiens doivent se souvenir qu’ils sont soutenus par l’espérance pour les accueillir, une espérance en pleine activité en ce monde même, parce qu’elle est celle du Christ qui nous a promis son retour à l’heure de la parousie qui consacrera l’achèvement de la création dans la glorification du Seigneur. Cette promesse, il faut la vivre dans la prière qui rend docile aux inspirations de l’Esprit-Saint et disponible pour la construction de l’Eglise dans le monde.
C’est à cette espérance théologale que vous invite le Saint-Père: il implore les lumières de l’Esprit de Dieu sur vos travaux et bénit de grand cœur, non seulement les participants de l’Assemblée générale du MIAMSI, mais tous ceux qui s’adonnent à l’apostolat de leurs frères des milieux indépendants.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, avec mes meilleurs vœux, l’assurance de mon fidèle et cordial dévouement en N. S.
JEAN Card. VILLOT
Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana