DISCOURS DU PAPE PIE XII
SUR L'ACCOUCHEMENT NATUREL INDOLORE*
Salle des Bénédictions - Dimanche 8 janvier 1956
Sujet du discours : l'accouchement sans douleur
Tous avons reçu des informations sur une acquisition nouvelle de la gynécologie et l'on Nous a prié de prendre position à cet égard au point de vue moral et religieux. Il s'agit de l'accouchement naturel, sans douleur, dans lequel on n'utilise aucun moyen artificiel, mais où l'on met uniquement en œuvre les forces naturelles de la mère.
Rappel de déclarations antérieures
Dans Notre allocution aux membres du IV Congrès international des médecins catholiques, le 29 septembre 1949 (Discorsi e Radiomessaggi vol. XI, p. 221-234) Nous disions que le médecin se propose au moins d'adoucir les maux et les souffrances qui affligent les hommes. Nous évoquions alors le chirurgien, qui s'efforce dans les interventions nécessaires d'éviter au maximum la douleur; le gynécologue qui tente de diminuer les souffrances de la naissance, sans mettre en danger la mère ni l'enfant et sans nuire aux liens d'affection maternelle qui — affirme-t-on — se nouent d'habitude à ce moment. Cette dernière remarque se référait à un procédé utilisé à l'époque dans la maternité d'une grande ville moderne : pour lui éviter de souffrir, on avait plongé la mère dans une hypnose profonde, mais on constata que ce procédé entraînait une indifférence affective à l'égard de l'enfant. D'aucuns cependant estiment pouvoir expliquer autrement ce fait.
Instruit par cette expérience, on eut soin par la suite d'éveiller la mère plusieurs fois pour quelques moments au cours du travail ; on réussit de la sorte à éviter ce que l'on craignait. Une constatation analogue put être faite lors d'une narcose prolongée.
La nouvelle méthode, dont Nous voulons parler à présent, ne connaît pas ce danger ; elle laisse à la parturiente sa pleine conscience, du début à la fin, et le plein usage de ses forces psychiques (intelligence, volonté, affectivité) ; elle ne supprime, ou, selon d'autres, ne diminue que la douleur. Quelle position faut-il adopter à son égard au point de vue moral et religieux ?
I. ESQUISSE DE LA NOUVELLE MÉTHODE
1. - SES RAPPORTS AVEC L'EXPÉRIENCE DU PASSÉ
D'abord l'accouchement indolore considéré comme fait courant tranche nettement sur l'expérience humaine commune, celle d'aujourd'hui, mais aussi celle du passé et des temps les plus reculés.
Les recherches les plus récentes indiquent que quelques mères mettent au monde sans ressentir aucune douleur, bien qu'on n'ait utilisé aucun analgésique ou anesthésique. Elles montrent aussi que le degré d'intensité des souffrances est moindre chez les peuples primitifs que chez les civilisés. S'il est moyen en beaucoup de cas, il reste élevé pour la plupart des mères, et même il n'est pas rare qu'il soit insupportable. Telles sont les observations actuelles.
Il faut dire la même chose des âges passés, pour autant que les sources historiques permettent de contrôler le fait. Les douleurs des femmes en travail étaient proverbiales ; on s'y référait pour exprimer une souffrance très vive et angoissante, et la littérature profane aussi bien que religieuse en fournit les preuves. Cette façon de parler est courante, en effet, même dans les textes bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament, surtout dans les écrits des prophètes. Nous en citerons ici quelques exemples. Isaïe compare son peuple avec la femme qui, au moment de la naissance, souffre et crie ( cfr. Is. 26, 17). Jérémie qui regarde en face l'approche du jugement de Dieu, dit : « J'entends des cris comme ceux d'une femme en travail ; des cris d'angoisse, comme ceux d'une femme qui enfante pour la première fois » (Ier 4, 31). Le soir qui précède sa mort, le Seigneur compare la situation de ses Apôtres à celle de la mère qui attend le moment de la naissance : « Une mère qui enfante est dans les douleurs parce que son heure est venue. Mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus de sa tribulation, parce qu'elle se réjouit qu'un homme soit venu au monde » (Io. 16, 21).
Tout ceci permet d'affirmer, comme un fait reçu parmi les hommes de jadis et d'aujourd'hui, que la mère enfante dans la douleur. C'est à quoi s'oppose la nouvelle méthode.
2. - LA NOUVELLE MÉTHODE CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME
a) Considérations générales préliminaires faites par ses tenants.
Deux considérations générales, faites par ses tenants, guident et orientent celui qui veut esquisser ses traits principaux : la première concerne la différence entre l'activité indolore et l'activité douloureuse des organes et des membres, l'autre, l'origine de la douleur et son lien avec la fonction organique.
Les fonctions de l'organisme, affirme-t-on, lorsqu'elles sont normales et accomplies comme il faut, ne s'accompagnent pas de sensations douloureuses. Celles-ci dénotent la présence de quelque complication, sinon la nature se contredirait elle-même, car elle associe la douleur à tel processus en vue de provoquer une réaction de défense et de protection contre ce qui lui serait nuisible. La naissance normale est une fonction naturelle et devrait par conséquent se passer sans douleurs. D'où celle-ci provient-elle donc ?
La sensation de douleur, répond-on, est déclanchée et réglée par l'écorce cérébrale, où parviennent les excitations et les signaux de tout l'organisme. L'organe central réagit sur eux de manières très différentes. Certaines de ces réactions (ou réflexes) reçoivent de la nature un caractère précis et sont associées par elle à des processus déterminés (réflexes absolus). Pour d'autres, par contre, la nature n'a fixé ni leur caractère ni leurs connexions, mais elles sont déterminées par ailleurs (réflexes conditionnés).
Les sensations de douleur sont au nombre des réflexes (absolus ou conditionnés) provenant de l'écorce cérébrale. L'expérience a prouvé qu'il est possible, grâce à des associations établies arbitrairement, de provoquer des sensations de douleur, même quand l'excitation qui les déclenche en est par elle-même totalement incapable.
Dans les relations humaines, ces réflexes conditionnés ont comme agent des plus efficaces et des plus fréquents, le langage, la parole prononcée ou écrite, ou si l'on veut, l'opinion qui règne dans un milieu et que tout le monde partage et exprime par le langage.
b) Éléments de la nouvelle méthode
On comprend par là l'origine des sensations douloureuses vives ressenties à la naissance. Elles sont considérées par certains auteurs comme dues à des réflexes conditionnés contrariants déclanchés par des complexes idéologiques et affectifs erronés.
Les disciples du Russe Pavlov (physiologistes, psychologues, gynécologues), mettant à profit les recherches de leur maître sur les réflexes conditionnés, présentent en substance la question comme suit :
a) son fondement
L'accouchement n'a pas toujours été douloureux, mais il l'est devenu au cours des temps à cause des « réflexes conditionnés ». Ceux-ci ont pu avoir leur origine dans un premier accouchement douloureux. Peut-être l'hérédité y joue-t-elle aussi un rôle, mais ce ne sont là que des facteurs secondaires. Le motif principal en est le langage et l'opinion du milieu qu'il manifeste : la naissance, dit-on, est « l'heure difficile de la mère », elle est une torture imposée par la nature, qui livre la mère sans défense à des souffrances insupportables. Cette association, créée par le milieu, provoque la crainte de la naissance et la crainte des douleurs terribles qui l'accompagnent. Ainsi, quand les contractions musculaires de l'utérus se font sentir au début de l'accouchement, surgit la réaction de défense de la douleur. Cette douleur provoque une crampe musculaire et celle-ci à son tour un accroissement de douleurs. Les douleurs sont donc réelles, mais elles découlent d'une cause faussement interprétée. À la naissance ce qui est un fait, ce sont les contractions normales de l'utérus et les sensations organiques qui l'accompagnent; mais ces sensations ne sont pas interprétées par les organes centraux pour ce qu'elles sont, de simples fonctions naturelles. En vertu des réflexes conditionnés, et en particulier de la « crainte » extrême, elles dérivent vers le domaine des sensations douloureuses.
b) son but
Telle serait la genèse des douleurs puerpérales.
On voit par là quels seront le but et la tâche de l'ostétrique indolore. Appliquant les connaissances scientifiques acquises, elle doit d'abord dissocier les associations existant déjà entre les sensations normales des contractions de l'utérus et les réactions de douleur de l'écorce cérébrale. De cette manière on supprime les réflexes conditionnés négatifs. En même temps, il faut créer de nouveaux réflexes, positifs, qui remplaceront les réflexes négatifs.
c) son application pratique
Quant à l'application pratique elle consiste à donner d'abord aux mères (longtemps avant l'époque de la naissance) un enseignement approfondi, adapté à leurs capacités intellectuelles, sur les processus naturels qui se déroulent en elles pendant la grossesse, et en particulier pendant l'accouchement. Ces processus naturels, elles les connaissaient déjà en quelque sorte, mais le plus souvent sans en percevoir clairement l'enchaînement. Aussi beaucoup de choses restaient-elles encore enveloppées d'une obscurité mystérieuse et prêtaient même à de fausses interprétations. Les réflexes conditionnés caractéristiques acquéraient aussi une force d'action considérable, tandis que l'angoisse et la crainte y trouvaient un aliment constant. Tous ces éléments négatifs seraient éliminés par l'enseignement susdit.
En même temps on adresse à la volonté et au sentiment de la mère un appel répété pour ne pas laisser surgir des sentiments de crainte non-fondés et qu'on leur a montrés tels. Il faut aussi rejeter une impression de douleur, qui tendrait peut-être à se manifester, mais qui, en tout cas, n'est pas justifiée et ne repose, comme on le leur a enseigné, que sur une fausse interprétation des sensations organiques naturelles de l'utérus qui se contracte. Les mères sont surtout amenées à estimer la grandeur naturelle et la dignité de ce qu'elles accomplissent à l'heure de la parturition. On leur donne aussi des explications techniques détaillées sur ce qu'il importe de faire pour assurer le bon déroulement de la naissance ; on leur apprend par exemple comment actionner exactement la musculature, comment bien respirer. Cet enseignement prend surtout la forme d'exercices pratiques pour que la technique leur soit devenue familière au moment de la naissance. Il s'agit donc de guider les mères et de les mettre en état de ne pas subir l'accouchement de façon purement passive comme un processus fatal, mais d'adopter une attitude active, de l'influencer par l'intelligence, la volonté, l'affectivité, de la mener à terme dans le sens voulu par la nature et avec elle.
Pendant la durée du travail, la mère n'est pas laissée à elle-même ; elle profite de l'assistance et du contrôle permanent d'un personnel formé selon les nouvelles techniques et qui lui rappelle ce qu'elle a appris, lui indique au moment voulu ce qu'elle doit faire, éviter, modifier et qui, éventuellement, redresse tout de suite ses erreurs, et l'aide à corriger les anomalies qui se présenteraient.
Telle est pour l'essentiel, selon les chercheurs russes, la théorie et la pratique de l'accouchement sans douleur. De son côté, l'anglais Grantly Dick Read a mis au point une théorie et une technique analogue sur un certain nombre de points ; dans ses présupposés philosophiques et métaphysiques toutefois, il s'en écarte substantiellement, car il ne s'appuie pas comme eux sur la conception matérialiste.
d) extension et succès
En ce qui concerne l'extension et le succès de la nouvelle méthode (appelée méthode psycho-prophylactique), on prétend qu'en Russie et en Chine elle a déjà été utilisée pour des centaines de milliers de cas. Elle s'est implantée aussi en divers pays de l'Occident. Plusieurs maternités municipales auraient mis à sa disposition des sections particulières. Les maternité organisées exclusivement selon ces principes seraient jusqu'à présent peu nombreuses en Occident; la France, entre autres, en a une (communiste) à Paris. En France également deux institutions catholiques, à Jallieu et Cambrai, ont adopté complètement la méthode dans leurs services, sans sacrifier ce qui avait fait ses preuves antérieurement.
Quant au succès, on affirme qu'il est très important : 85% à 90% des naissances survenues de la sorte auraient été réellement indolores.
II. APPRÉCIATION DE LA NOUVELLE MÉTHODE
1. - APPRÉCIATION SCIENTIFIQUE
Après avoir ainsi tracé l'esquisse de cette méthode, Nous passons à son appréciation. Dans la documentation qui nous a été remise, on trouve cette note caractéristique : « Pour le personnel, la première exigence indispensable, c'est la foi inconditionnée à la méthode ». Peut-on sur la base de résultats scientifiques assurés exiger une foi absolue de ce genre ?
La méthode contient sans doute des éléments qu'il faut considérer comme scientifiquement établis. D'autres n'ont qu'une haute probabilité; d'autres restent encore (au moins pour le moment) de nature problématique. Il est établi scientifiquement qu'il existe des réflexes conditionnés en général, que des représentations déterminées ou des états affectifs peuvent être associés à certains événements, et que le cas peut se vérifier aussi pour les sensations de douleur. Mais qu'il soit déjà prouvé (ou du moins, qu'il puisse être prouvé par là) que les douleurs de la délivrance sont dues uniquement à cette cause, ce n'est pas évident pour tous à l'heure actuelle. Des juges sérieux formulent aussi des réserves au sujet de l'axiome affirmé quasi a priori : « Tous les actes physiologiques normaux, et donc aussi la naissance normale, doivent se passer sans douleur, sinon la nature se contredirait elle-même ». Ils n'admettent pas qu'il soit universellement valable sans exception, ni que la nature se contredirait, si elle avait fait de la parturition un acte intensément douloureux. En effet, disent-ils, il serait parfaitement compréhensible, physiologiquement et psychologiquement, que la nature, soucieuse de la mère qui engendre et de l'enfant engendré, fasse par là prendre conscience d'une manière inéluctable de l'importance de cet acte et veuille forcer à prendre les mesures requises pour la mère et pour l'enfant.
La vérification scientifique de ces deux axiomes, que les uns prétendent certains et les autres discutables, laissons-la aux spécialistes compétents, mais il faut, pour décider du vrai et du faux, retenir le critère objectif décisif : « Le caractère scientifique et la valeur d'une découverte doivent s'apprécier exclusivement d'après son accord avec la réalité objective ». Il importe de ne pas négliger ici la distinction ,entre « vérité » et « affirmation » (« interprétation », « subsomption », « systématisation ») de la vérité. Si la nature a rendu l'accouchement indolore dans la réalité des faits, s'il est devenu douloureux par la suite à cause des réflexes conditionnés, s'il peut redevenir indolore, si tout cela n'est pas seulement affirmé, interprété, construit systématiquement, mais démontré réel, il s'ensuit que les résultats scientifiques sont vrais. S'il n'est pas, ou du moins pas encore possible d'obtenir à cet égard une certitude entière, il faut s'abstenir de toute affirmation absolue et considérer les conclusions obtenues comme des « hypothèses » scientifiques.
Mais, renonçant pour l'instant à porter un jugement définitif sur le degré de certitude scientifique de la méthode psychoprophylactique, Nous allons l'examiner au point de vue moral.
2. - APPRÉCIATION ÉTHIQUE
Cette méthode est-elle moralement irréprochable ? La réponse, qui doit en considérer l'objet, le but et le motif, s'énonce brièvement : « Prise en soi, elle ne contient rien de critiquable au point de vue moral ».
L'enseignement donné sur le travail de la nature dans l'accouchement, la correction de l'interprétation fausse des sensations organiques et l'invitation à la corriger, l'influence exercée pour écarter l'angoisse et la crainte non fondées, l'aide accordée pour que la parturiente collabore opportunément avec la nature, garde son calme et sa maîtrise, une conscience accrue de la grandeur de la maternité en général, et en particulier, de l'heure où la mère met l'enfant au monde, tout cela ce sont des valeurs positives, auxquelles il n'y a rien à reprocher, des bienfaits pour la parturiente, et ils sont pleinement conformes à la volonté du Créateur. Ainsi vue et comprise, la méthode est une ascèse naturelle, qui garde la mère de la superficialité et de la légèreté. Elle influence positivement sa personnalité pour qu'à l'heure si importante de l'enfantement, elle manifeste la fermeté et la solidité de son caractère. Sous d'autres aspects encore, la méthode peut conduire à des succès moraux positifs. Si on réussit à éliminer les douleurs et la crainte de la naissance, on diminue souvent par là-même une incitation à commettre des actions immorales dans l'utilisation des droits du mariage.
En ce qui concerne les motifs et le but des secours accordés à la parturiente, l'action matérielle, comme telle, ne comporte aucune justification morale, ni positive ni négative. Elle est l'affaire de celui qui prête son aide. Elle peut et doit s'accomplir pour des motifs et en vue d'un but irréprochables tels que l'intérêt présenté par un fait purement scientifique, le sentiment naturel et noble qui fait estimer et aimer dans la mère la personne humaine, qui veut lui faire du bien et l'assister, une disposition profondément religieuse et chrétienne, qui s'inspire des idéaux du christianisme vivant. Mais il peut arriver que l'assistance recherche un but et obéisse à des motifs immoraux. En ce cas, c'est l'activité personnelle de celui qui prête son aide qui en subit le préjudice. Le motif immoral ne transforme pas l'assistance bonne en une chose mauvaise, du moins en ce qui concerne sa structure objective et, inversement, une assistance bonne en soi ne peut pas justifier un motif mauvais ou fournir la preuve de sa bonté.
3. - APPRÉCIATION THÉOLOGIQUE
Il reste à dire un mot d'appréciation théologique et religieuse, pour autant qu'on la distingue de la valeur morale au sens strict. La nouvelle méthode est souvent présentée dans le contexte d'une philosophie et d'une culture matérialistes et en opposition avec l'Écriture Sainte et le christianisme.
L'idéologie d'un chercheur et d'un savant n'est pas en soi une preuve de la vérité et de la valeur de ce qu'il a trouvé et exposé. Le théorème de Pythagore ou, (pour rester dans le domaine de la médecine), les observations d'Hippocrate qu'on a reconnues exactes, les découvertes de Pasteur, les lois de l'hérédité de Mendel, ne doivent pas la vérité de leur contenu aux idées morales et religieuses de leurs auteurs. Elles ne sont ni païennes, parce que Pythagore et Hippocrate étaient païens, ni chrétiennes, parce que Pasteur et Mendel étaient chrétiens. Ces acquisitions scientifiques sont vraies parce que et dans la mesure où elles répondent à la réalité objective.
Même un chercheur matérialiste peut faire une découverte scientifique réelle et valable, mais cet apport ne constitue en aucune manière un argument pour ses idées matérialistes.
Le même raisonnement vaut pour la culture à laquelle un savant appartient. Ses découvertes ne sont pas vraies ou fausses selon qu'il est issu de telle ou telle culture, dont il a reçu l'inspiration et qui l'a marqué profondément.
Les lois, la théorie et la technique de l'accouchement naturel, sans douleur, sont valables sans doute, mais furent élaborées par des savants qui en bonne partie professent une idéologie, appartiennent à une culture matérialistes ; celles-ci ne sont pas vraies, parce que les résultats scientifiques précités le sont. Il est encore beaucoup moins exact que les résultats scientifiques sont vrais et démontrés tels, parce que leurs auteurs et les cultures d'où ils proviennent ont une orientation matérialiste. Les critères de la vérité sont ailleurs.
Le chrétien convaincu ne trouve rien dans ses idées philosophiques et sa culture qui l'empêche de s'occuper sérieusement, en théorie et en pratique, de la méthode psychoprophylactique. Il sait en règle générale que la réalité et la vérité ne sont pas identiques à leur interprétation, subsomption ou systématisation et que, par conséquent, il peut en même temps accepter entièrement l'un et rejeter entièrement l'autre.
4. - LA NOUVELLE MÉTHODE ET L'ÉCRITURE SAINTE
Une critique de la nouvelle méthode au point de vue théologique doit en particulier rendre compte de l'Écriture Sainte, car la propagande matérialiste prétend trouver une contradiction éclatante entre la vérité de la science et celle de l'Écriture. Dans la Genèse (Gen. 3, 16) on lit : « In dolore paries filios » (« Tu enfanteras dans la douleur »). Pour bien comprendre cette parole, il faut considérer la condamnation portée par Dieu dans l'ensemble de son contexte. En infligeant cette punition aux premiers parents et à leur descendance, Dieu ne voulait pas défendre et n'a pas défendu aux hommes de rechercher et d'utiliser toutes les richesses de la création, de faire avancer pas à pas la culture, de rendre la vie de ce monde plus supportable et plus belle, d'alléger le travail et la fatigue, la douleur, la maladie et la mort, bref, de se soumettre la terre (cfr. Gen. 1, 28).
De même, en punissant Ève, Dieu n'a pas voulu défendre et n'a pas défendu aux mères d'utiliser les moyens qui rendent l'accouchement plus facile et moins douloureux. Aux paroles de l'Écriture, il ne faut pas chercher d'échappatoire ; elles restent vraies dans le sens entendu et exprimé par le Créateur : la maternité donnera beaucoup à supporter à la mère. De quelle manière précise Dieu a-t-il conçu ce châtiment et comment l'exécutera-t-il ? L'Écriture ne le dit pas. Certains prétendent que l'enfantement fut, aux origines, entièrement indolore et ne devint douloureux que plus tard (peut-être à la suite d'une interprétation erronée du jugement de Dieu), par le jeu de l'auto- et de l'hétérosuggestion, des associations arbitraires, des réflexes conditionnés et à cause des comportements fautifs des parturientes. Jusqu'ici, toutefois, ces affirmations dans leur ensemble n'ont pas été prouvées. D'autre part, il peut être vrai qu'un comportement incorrect, psychique ou physique, des parturientes soit susceptible d'accoître fortement les difficultés de la naissance et les ait accrues en réalité.
La science et la technique peuvent donc utiliser les conclusions de la psychologie expérimentale, de la physiologie et de la gynécologie (comme dans la méthode psycho-prophylactique), afin d'éliminer les sources d'erreurs et les réflexes conditionnés douloureux et de rendre la parturition aussi indolore que possible ; l'Écriture ne le défend pas.
Considérations finales sur l'obstétrique chrétienne
En guise de conclusion, ajoutons quelques remarques sur l'obstétrique chrétienne.
La charité chrétienne s'est depuis toujours occupée des mères à l'heure de l'accouchement. Elle s'est efforcée et s'efforce aujourd'hui encore de leur procurer une assistance efficace, psychique et physique, selon l'état d'avancement de la science et de la technique. Ce peut être le cas à présent pour les nouvelles acquisitions de la méthode psycho-prophylactique dans la mesure où elles trouvent l'approbation d'études sérieuses. L'obstétrique chrétienne peut ici intégrer dans ses principes et ses méthodes tout ce qui est correct et justifié.
Toutefois, qu'elle ne s'en contente pas pour les personnes susceptibles de recevoir davantage, et qu'elle n'abandonne rien des valeurs religieuses qu'elle mettait à profit jusqu'à présent. Dans Notre allocution au Congrès de l'Association italienne des sages-femmes catholiques, le 29 octobre 1951 (Discours et Messages-radio vol. XIII p. 333-353), Nous avons parlé en détail de l'apostolat, dont les sages-femmes catholiques sont capables et qu'elles sont appelées à pratiquer dans leur profession. Entre autres, Nous mentionnions l'apostolat personnel, c'est-à-dire celui qu'elles exercent par le moyen de leur science et de leur art et par la solidité de leur foi chrétienne (l. c. p. 334 ss.), puis l'apostolat de la maternité en s'efforçant de rappeler aux mères sa dignité, son sérieux et sa grandeur. Ici s'applique ce que Nous avons dit aujourd'hui, puisqu'elles assistent la mère à l'heure de la naissance. La mère chrétienne puise dans sa foi et sa vie de grâce la lumière et la force pour mettre en Dieu une pleine confiance, se sentir sous la protection de la Providence et aussi pour accepter volontiers ce que Dieu lui donne à supporter : il serait donc dommage que l'obstétrique chrétienne se borne à lui rendre des services d'ordre purement naturel, psycho-prophylactiques.
Deux points méritent ici d'être soulignés : le christianisme n'interprète pas la souffrance et la croix de façon purement négative. Si la nouvelle technique lui épargne les souffrances de l'accouchement ou les adoucit, la mère peut l'accepter sans aucun scrupule de conscience ; mais elle n'y est pas obligée. En cas d'un succès partiel ou d'échec, elle sait que la souffrance peut devenir une source de bien, si on la supporte avec Dieu et par obéissance à sa volonté. La vie et la souffrance du Seigneur, les douleurs que tant de grands hommes ont supportées, et même cherchées, grâce auxquelles ils ont mûri, grandi jusqu'aux sommets de l'héroïsme chrétien, les exemples quotidiens d'acceptation résignée de la croix, que Nous avons sous les yeux, tout cela révèle la signification de la souffrance, de l'acceptation patiente de la douleur dans l'économie actuelle du salut, pendant le temps de cette vie terrestre.
Une deuxième remarque. La pensée et la vie chrétienne, et donc l'obstétrique chrétienne, n'attribuent pas une valeur absolue aux progrès de la science et aux raffinements de la technique. Par contre une pensée et une conception de vie d'inspiration matérialiste trouvent cette position naturelle : elle leur sert de religion ou de succédané de la religion. Bien qu'il applaudisse aux nouvelles découvertes scientifiques et les utilise, le chrétien rejette toute apothéose matérialiste de la science et de la culture. Il sait que celles-ci occupent une place sur l'échelle objective des valeurs, mais que sans être la dernière, ce n'est pas non plus la première. Même à leur égard, il répète aujourd'hui comme jadis et comme toujours : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice » (Matth. , 33). La plus haute, l'ultime valeur de l'homme, elle se trouve, non dans sa science et ses capacités techniques, mais dans l'amour de Dieu et le dévoûment à son service. Pour ces raisons, mis en face de la découverte scientifique de l'accouchement sans douleur, le chrétien se garde de l'admirer sans retenue et de l'utiliser avec un empressement exagéré ; il la juge d'une façon positive et réfléchie, à la lumière de la saine raison naturelle, et à celle, plus vive, de la foi et de l'amour, qui émane de Dieu et de la croix du Christ.
* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XVII,
Dix-septième année de Pontificat, 2 mars 1955 - 1er mars 1956, pp. 467 - 479
Typographie Polyglotte Vaticane
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