DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS INTERNATIONAL
DU TIERS-ORDRE DOMINICAIN
29 août 1958
En un temps où l'Église invite partout ses enfants à prendre conscience de leurs responsabilités apostoliques, c'est pour Nous une joie très grande, chers fils, de pouvoir vous accueillir à l'occasion du Congrès international du Tiers-Ordre de saint Dominique.
Votre groupe imposant ne représente cependant qu'une petite fraction de l'immense et pacifique armée de votre Tiers-Ordre, de cette « Milice de Jésus-Christ », qui depuis sept siècles, livre partout le bon combat pour la défense de la foi et de l'honneur de l'Église. Plus de vingt pays ont envoyé ici des délégués, et vous vous associez aussi dans une pensée fraternelle aux Tertiaires que le « rideau de fer » empêche d'assister à votre réunion.
Ce Congrès international avivera certainement en vous le sens de l'universalité de votre idéal religieux, de sa fécondité durable, de la valeur permanente des motifs qui l'inspirent. N'est-ce pas en effet, comme l'énonce votre Règle (c. 1 n. 1-2), un idéal de perfection, c'est-à-dire de sainteté personnelle, par la pratique d'une vie chrétienne plus parfaite, et de zèle des âmes, exercé de la manière qui convient à votre état laïc ? Ce noble propos porte chez vous l'empreinte caractéristique de 1'Ordre de saint Dominique qui se distingue en particulier par l'ardeur à défendre la vérité de la foi catholique. Ce trait si représentatif de la tradition dominicaine, Nous voudrions souligner à quel point il reste d'actualité. L'Église attend de vous aujourd'hui une collaboration aussi efficace que le fut celle de saint Dominique à l'époque difficile de la lutte contre les hérésies des cathares et des vaudois. Sa première prédication en Narbonnaise fut un retour à la vie évangélique de pauvreté volontaire, d'humilité, illustrant la parole par l'exemple d'une vie de charité patiente et douce, instinctivement hostile aux moyens violents. Vous appartenez à une époque qui voit le triomphe de la technique et de ses réalisations grandioses, de puissantes organisations politiques et sociales, la prépondérance d'une économie aux irrésistibles mouvements de flux et de reflux. Sans rien perdre de sa sérénité et toujours consciente des faiblesses spirituelles de l'humanité que dissimule mal tout cet appareil extérieur, l'Église incite ses fidèles à intensifier la vie intérieure par l'acceptation de ses conditions austères mais imprescriptibles. Votre appartenance à un Tiers-Ordre vous met d'emblée en mesure d'assurer cet approfondissement de vie chrétienne, plus nécessaire que jamais dans un monde écartelé par ses propres inventions, et Notre attention se porte sur vous comme sur un groupe choisi de laïcs, spécialement aptes à se dépenser au service des objectifs majeurs de l'apostolat contemporain. Telle est l'idée que Nous voudrions commenter brièvement, puisqu'elle exprime le thème central de votre Congrès.
Le progrès des études bibliques, le mouvement liturgique, l'impulsion des œuvres d'apostolat laïcs, constituent un apport inestimable à la vitalité de la foi chrétienne. On comprend mieux actuellement qu'elle n'est pas un système abstrait de définitions, ni un ensemble de croyances irrationnelles coupées de la vie et de l'action. On admet plus facilement qu'elle ne menace en rien les droits de la raison, ni les exigences légitimes de l'homme de science ou du philosophe. Elle occupe un ordre à part, transcendant, non point en dehors de la vie, mais la dominant. La foi est une intelligence nouvelle dont l'objet propre n'est pas le monde créé, mais Dieu lui-même, la Trinité Sainte, manifestant librement les profondeurs de son être et de son amour. La vérité révélée, loin de n'appeler qu'un simple assentiment de la raison, requiert aussi une démarche de la volonté, mue par la grâce ; elle s'offre à la contemplation, par laquelle l'homme applique tonte son âme à comprendre surnaturellement les mystères divins, à les pénétrer, à en vivre. On ne le dira jamais assez, la Révélation n'est pas un simple exposé de propositions, mais une démarche de Dieu qui se fait connaître en même temps qu'il opère l'Incarnation et la Rédemption, depuis les préparations lointaines de l'Ancien Testament jusqu'à la mission de l'Esprit-Saint et à ses prolongements dans la vie de l'Église d'aujourd'hui. Répondre à l'initiative divine par l'acceptation du « Credo » catholique et l'observation des commandements, telle est la condition nécessaire du salut. Mais de vous le Seigneur attend davantage, et l'Église vous exhorte à progresser dans la connaissance intime de Dieu et de son œuvre, à rechercher une expression plus complète et plus précieuse de cette connaissance, un affinement des attitudes chrétiennes qui en découlent.
Pour cultiver l'esprit de foi, comme votre vocation de Tertiaires dominicains vous l'impose, vous ferez donc une large part dans votre vie à la prière. Nous savons que d'habitude il ne vous est pas possible de consacrer de longues heures à l'exercice de la contemplation, mais avec l'observation fidèle des pratiques de piété prévues par votre Règle, ayez soin de cultiver une disposition intérieure semblable à celle du religieux contemplatif, c'est-à-dire une attention permanente aux choses de Dieu, un goût accusé de la méditation silencieuse, l'attrait pour la parole divine goûtée dans l'Écriture et dans les offices liturgiques. La lecture et l'étude de l'Écriture Sainte vous sont facilités aujourd'hui par des traductions plus exactes et des commentaires précis et suggestifs ; les trésors de la patristique vous deviennent aussi de plus en plus accessibles en d'excellentes éditions scientifiques ou de vulgarisation. Les recherches de théologie biblique et spirituelle se multiplient, ainsi que les enquêtes sur les réactions des divers milieux chrétiens aux problèmes concrets des laïcs engagés dans l'apostolat. Vous pouvez et devez contribuer à ce progrès si utile à l'Église et dont les années à venir manifesteront sans doute avec plus d'éclat encore la fécondité.
Le titre de votre Tiers-Ordre comporte le mot « pénitence », qui provoque d'habitude, même chez de bons chrétiens, une certaine appréhension. Saint Jean Baptiste, le Précurseur, faisant écho à la prédication des Prophètes, s'écriait : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est proche ! » (Mt 3, 2), et son baptême de repentir préfigurait le baptême au nom du Christ qui, unissant le chrétien à la mort du Sauveur, le fait ressusciter à une vie nouvelle (Rm 6, 3-4) et le délivre de la loi du péché pour le soumettre à celle de l'Esprit (cf. ibid. 8, 2). Se convertir soi-même par une lutte inlassable contre tout ce qui fait obstacle au plein épanouissement de la vie du Christ, et par là amener les autres à la découverte de cette vie nouvelle, tel est l'ordre de l'apostolat bien compris, auquel vous invite la formule chère aux fils de saint Dominique : « Contemplata aliis tradere ». Vivre soi-même de la vie évangélique reste le meilleur moyen d'y amener autrui. Sur ce point, votre tâche, chers fils, s'avère extrêmement ardue, Nous n'avons aucune peine à l'admettre. Votre état de laïcs vous fait vivre constamment au contact du monde. Déjà au sein de vos familles pénètrent des journaux, la radio, la télévision, qui apportent pêle-mêle toutes les nouvelles de l'extérieur ; tel ou tel de vos parents, amis ou connaissances sera moins ouvert à l'idéal de la perfection chrétienne, moins exigeant dans ses conceptions de vie, hostile peut-être à ce qui gène une liberté mal comprise. Dans vos milieux de travail, vous côtoyez le meilleur et le pire, l'indifférent, le sceptique, l'athée. Vous n'avez pas toujours la possibilité d'éviter que vos délassements ne recèlent des occasions de tentation. Votre rang social vous contraint peut-être à accepter un certain luxe, certaines mondanités. Que de conversations futiles et de temps perdu parfois, pour éviter simplement de froisser quelqu'un ou de manquer aux conventions reçues !
Ainsi, à chaque instant, votre conscience doit prendre parti sans manquer à la charité et sans trahir l'esprit évangélique, bien plus, en manifestant ouvertement, mais sans ostentation ni bravade, votre qualité de disciple de Jésus et de Jésus crucifié. Éclairant toutes vos décisions, votre idéal apostolique saura vous dicter les formes concrètes que doit prendre votre détachement et votre esprit de pénitence. Il s'agit de savoir en effet si vous conquerrez le monde, ou si vous serez conquis par lui, par son matérialisme, son scepticisme, son appétit de jouissance et de facilité, ses vues étroites et égoïstes. Vraiment, pour garder intacte votre ferveur dans un milieu qui vous attire constamment vers la médiocrité, il faut beaucoup de courage, de confiance en la grâce et de générosité à se vaincre par la mortification du cœur et des sens. Mais l'efficacité de votre témoignage dépend étroitement de la qualité de votre vie intérieure et de votre volonté d'accorder au Seigneur, non point une part minime de vous-même, mais la part la plus large possible, dans l'acceptation courageuse et pleine d'élan du sacrifice quotidien, achevant en vos membres, selon le mot de saint Paul, ce qui manque aux souffrances du Christ (cf. Col I, 24).
Quand vous aurez assuré ces éléments essentiels de toute vocation apostolique que sont l'union à Dieu dans la prière et le détachement de soi, vous discernerez aisément et vous accomplirez avec force et enthousiasme les œuvres d'apostolat que vous prescrivent votre Règle et ceux qui vous dirigent au nom de Dieu.
Il est certain que la formation spirituelle régie dans le Tiers Ordre vous habilite plus que beaucoup d'autres au travail fructueux dans l'Action Catholique, qu'on entende ce terme au sens strict d'apostolat exercé par mandat de la Hiérarchie, ou dans un sens plus large d'apostolat organisé. Comme Nous l'avons exposé déjà dans Notre Allocution du 5 octobre 1957 au Congrès international de l'Apostolat des laïcs (cf. Discours et message-radio, vol. XIX, pag. 455-473), l'Église et la Hiérarchie attendent des laïcs, de ceux-là surtout qui constituent une élite, qu'ils lui apportent leur concours dévoué. Vous avez donc des responsabilités à assumer au sein de l'Action Catholique, qui saura mettre en valeur vos ressources spirituelles propres, et leur ouvrir un champ d'action à la mesure de vos possibilités. Et puisque les mouvements d'Action Catholique ont besoin de solides bases doctrinales et de techniques efficaces pour diffuser la vérité chrétienne et pour créer, quand il est nécessaire, un réseau d'œuvres d'assistance matérielle, de formation sociale, d'éducation religieuse, vous y pourrez déployer toutes les ressources de votre initiative. Nous pensons en particulier aux nécessités immenses des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine, que Nous avons exposées dans Notre Allocution du 5 octobre 1957 (cf. Discours et message-radio, vol. XIX, pp. 469- 472) ; l'intervention dans ces régions d'un laïcat chrétien actif et décidé devient urgente pour enrayer l'avance des sectes et celle, plus menaçante encore, du communisme.
Des objectifs aussi importants doivent exercer un attrait certain sur les âmes généreuses, désireuses d'assumer des tâches vraiment apostoliques, de les mener avec vigueur, de leur infuser, si elles languissent, une ardeur nouvelle. C'est pourquoi Nous souhaitons vivement que les rangs du Tiers-Ordre accueillent nombreux les hommes et les femmes jeunes qui, sans avoir la vocation religieuse, aspirent pourtant à une vie chrétienne plus parfaite, au don plus total d'eux-mêmes. Dans le Tiers-Ordre, ils recevront sous l'égide d'une Règle sanctionnée par l'Église et la direction de maîtres spirituels éprouvés, une formation qui les aidera à monter vers Dieu et produire en eux, comme en tant d'autres, des fruits de sainteté. Quel réservoir d'énergies pour 1'Action Catholique qu'un Tiers-Ordre riche de forces vives, de jeunes des deux sexes et d'hommes et femmes adultes, qui se sont acquis expérience et autorité dans leur vie professionnelle ou dans 1'exercice des fonctions publiques. Leur influence pour le bien peut alors peser d'un grand poids et contribuer beaucoup aux progrès du Règne de Dieu dans le monde moderne.
Nous vous exhortons paternellement, chers fils, à vous pénétrer davantage encore du sérieux des engagements, que vous avez pris en faisant profession dans le Tiers-Ordre de saint Dominique. Progressez sans relâche sur la voie étroite, certes, mais si haute et si noble que vous avez librement choisie. Les exemples illustres ne vous manquent pas pour guider vos pas et soutenir votre élan : contemplez la glorieuse famille des saints et bienheureux des trois Ordres dominicains, et en particulier Sainte Catherine de Sienne, patronne du Tiers-Ordre, gratifiée par Dieu de faveurs mystiques insignes et d'un zèle admirable pour les intérêts de l'Église. Comme elle, cultivez avec jalousie les dons de l'Esprit-Saint, l'intimité avec le Seigneur qui s'épanouit dans la pureté de vie, la ferveur de la charité et un infatigable dévouement au salut des âmes.
En gage de Notre paternelle bienveillance et des faveurs célestes que Nous appelons instamment sur vous-mêmes, sur vos familles, sur votre apostolat, Nous vous accordons de grand cœur Notre Bénédiction apostolique.
* Discours et Messages-radio de S. S. Pie XII, XX,
Vingtième année de Pontificat, 2 mars - 9 octobre 1958, pp. 293-298
Typographie Polyglotte Vaticane
A.A.S., vol. L (1958), n. 14-15, pp. 674-683.
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