DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU IIIe CONGRÈS INTERNATIONAL DES OFFICIERS JUDICIAIRES
Lundi 8 septembre 1958
Nous vous souhaitons une paternelle et affectueuse bienvenue, Messieurs, qui participez au Congrès International des Officiers judiciaires. Ce Congrès, organe suprême de votre union, rassemble un nombre important de Délégués provenant de diverses nations, afin d'aborder et de discuter dans un climat de franchise sereine et respectueuse une série de questions concernant votre profession. Vous voulez étudier et approfondir la législation propre à chaque Corporation, mais aussi examiner les idées, les projets et les résultats des initiatives, qui visent à assurer l'élévation et l'indépendance de la profession d'Officier judiciaire, sans négliger, bien entendu, la défense des droits déjà acquis et des prérogatives actuelles.
Votre aimable courtoisie Nous a permis de prendre personnellement connaissance de votre programme ; Nous savons que le Congrès doit envisager les moyens pratiques d'apporter une aide morale à ceux de vos membres, qui en certains pays se trouvent dans des conditions moins favorables, et qu'il doit surtout chercher comment défendre de façon efficace tous les actes judiciaires et extrajudiciaires, qui constituent une garantie fondamentale pour les matières à juger et forment l'objet principal et la raison d'être des activités et des fonctions de l'Officier judiciaire.
Dans ce but, le Congrès a organisé des réunions, des rencontres et des conférences destinées à coordonner les diverses législations et à créer un ordre juridique international, qui, tout en sauvegardant les exigences particulières de chaque nation, adapterait néanmoins les législations des divers pays au niveau de la nation la plus favorisée : il Nous semble désormais communément admis dans la doctrine et dans les codes que l'Officier judiciaire n'est pas seulement un Officier public, mais qu'en assurant les actes qui lui sont demandés par la loi et par les règlements, il remplit vraiment et proprement, avec le Juge et le Chancelier, des fonctions de juridiction.
Dans la procédure civile, on confie à l'Officier judiciaire nombre d'actes en relation avec le jugement, pour le préparer, l'accompagner ou l'exécuter. Tel, par exemple, l'acte initial qui introduit toute procédure au civil, à savoir la notification de la demande de jugement. Viennent ensuite divers autres actes, comme la notification de l'acte de déposition de documents, la notification des ordonnances et des décrets émis par le Juge au cours du jugement, les citations des témoins, la notification des sentences et des charges qui s'ensuivent. Dans la phase exécutive, l'Officier judiciaire accomplit des actes de grande importance, et parfois d'une extrême délicatesse. C'est à lui, par exemple, qu'il appartient de percevoir du débiteur des sommes dues pour la solution totale ou partielle de ses dettes, de suspendre l'exécution ou d'exécuter la saisie et les actes qui s'y rattachent, de pouvoir accomplir des actes concrets dans le domaine des mesures de cautionnement hors cause ou en cours de cause, comme les séquestres conservatoires et judiciaires.
Dans la procédure pénale, c'est à l'Officier judiciaire que reviennent d'autres fonctions délicates, telles que la notification de la constitution de la partie civile, la notification de l'acte de comparution et de renvoi à jugement ; de même, la citation en jugement des témoins, des experts et des parties.
Dans les fonctions de l'Officier judiciaire rentrent enfin de nombreux actes extrajudiciaires en matière de sociétés commerciales, de faillites, etc.
Vous savez, Messieurs, que par l'effet des faiblesses et des limites de la nature humaine, la vie sociale a toujours présenté et présente encore un spectacle de luttes, de différends et de controverses, qui sont dus à une certaine tendance au litige, qu'on rencontre parfois dans les relations entre les sujets des normes juridiques. Parce que ces différends, en tant qu'ils rentrent dans la sphère de la garantie du droit, doivent être résolus dans l'intérêt de l'État, il est du ressort de ce dernier de protéger la paix sociale en exerçant ses pouvoirs, entre autres, en garantissant la sécurité et la solidité des rapports privés et publics. Ainsi s'expliquent l'origine et le développement de l'activité juridictionnelle, si complexe, destinée d'une part à vérifier l'existence du délit public ou secret, et d'autre part à condamner le délit lui-même ou à reconnaître le droit des diverses personnes physiques ou morales.
Mais il n'échappe à personne, et à vous moins qu'à d'autres, que tout effort destiné à faire valoir dans ses effets un droit propre se heurte très souvent à un obstacle sérieux, Nous voulons dire l'énorme quantité des matières contentieuses, auxquelles s'ajoutent des procédures délicates, longues, complexes et coûteuses, au civil et au pénal.
Si donc le présent Congrès International réussit à poser les prémisses d'une action plus efficace et mieux coordonnée pour vous assurer sur le plan moral, juridique et économique, des conditions de vie plus conformes à vos exigences actuelles, il fera certainement une œuvre utile et rencontrera l'approbation de tous ceux qui ont à cœur de voir les Officiers judiciaires s'adonner tranquillement à l'exercice de leurs délicates fonctions.
Mais cela ne servirait guère, et serait peut-être même vain, si l'on ne vous recommandait en même temps de considérer avec attention la manière dont l'Officier judiciaire doit agir pour contribuer réellement au but visé par l'activité juridictionnelle. Votre action, Messieurs, doit être diligente ; elle doit être précise. Que de fois en effet ne suffit-il pas d'un léger retard pour imprimer au jugement un cours différent de celui que requérait la justice ? Que de fois une simple méprise n'a-t-elle pas créé quelque préjudice à l'action judiciaire elle-même ? Aussi une vigilance extrême vous est-elle nécessaire dans la recherche et dans la citation des témoins, ainsi qu'une grande sollicitude à consigner les divers documents. De même, dans la phase d'exécution, c'est-à-dire quand on passe à la défense concrète des droits reconnus par le jugement, vous devez absolument éviter, d'abord tout acte qui soit ou puisse paraître inspiré ou provoqué par la corruption, la partialité ou l'arbitraire — c'est bien évident, — mais encore tout usage moins correct des pouvoirs discrétionnaires, qui, en particulier à ce moment, vous sont attribués par la loi et par la coutume. C'est précisément dans l'exercice de ces pouvoirs, par exemple en hâtant ou en retardant une saisie, que l'on peut pécher, et gravement, contre la justice ; non contre la justice humaine, la plupart du temps, mais contre la justice divine.
Aussi voudrions-Nous, en guise de conclusion, vous proposer quelques réflexions qui vous aideront à vous acquitter mieux encore de vos fonctions délicates d'Officiers judiciaires. Vous êtes des croyants, et du moins vous reconnaissez l'existence d'un Dieu, Juge suprême des hommes, maître absolu du monde. Vous savez, peut-être par expérience personnelle, qu'un homme peut se trouver, pour ainsi dire, en règle avec les lois humaines et subir cependant les reproches d'une autre loi, qui l'inquiète et le tourmente. Seuls des gens superficiels croiront sérieusement qu'on puisse se soustraire à l'empire de cette loi, non écrite, mais innée, dont les auteurs païens eux-mêmes ont maintes fois reconnu l'existence. On soutient donc, avec une légèreté et une superficialité étonnantes, que le législateur humain peut proposer des normes contraires à la loi divine, que le pouvoir humain peut exiger l'exécution de ces normes, que le juge humain peut, en vertu de celles-ci, édicter des sentences contraires à celles que Dieu a portées. D'aucuns en appellent même à la parole de Jésus, lequel enseigna sans doute qu'il faut rendre à César ce qui appartient à César, mais voulut aussi que l'obéissance à César découlât toujours et restât inséparable de l'obéissance à Dieu.
En des temps, où l'on affirme l'égalité des citoyens devant la loi, on souhaite rencontrer chez ceux, à qui est délégué l'exercice du pouvoir judiciaire, une conscience vive des valeurs absolues, qui dépassent le naturalisme du droit humain, du droit relatif, du droit provisoire.
Soyez de ceux-là, Messieurs. Reconnaissez les droits inaliénables de Dieu sur les hommes et sur le monde. C'est ainsi seulement que vous pourrez jouer un rôle déterminant dans la recherche et la mise en œuvre de la volonté concrète de la loi, toutes les fois que celle-ci s'apprête à dirimer un conflit entre les droits et les intérêts qui en découlent pour les parties en cause. C'est ainsi seulement que vous serez des Officiers judiciaires dignes de la mission qui vous est confiée.
Nous prions le Dieu tout-puissant de vous aider dans l'accomplissement de votre tâche importante, et en gage de ses faveurs, Nous vous accordons pour vous-mêmes et pour tour ceux qui vous sont chers Notre Bénédiction apostolique.
* Discours et Messages-radio de S. S. Pie XII, XX,
Vingtième année de Pontificat, 2 mars - 9 octobre 1958, pp. 317-320
Typographie Polyglotte Vaticane
A.A.S., vol. L (1958), n. 14-15, pp. 683-687.
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