JEAN-PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 25
C’est l’anniversaire de la fondation de Rome.
1. Il est très évocateur cet événement qui, il y a quelques jours, a été rappelé à la ville et au monde. Il est très évocateur aussi pour chaque homme, parce que l’homme est un « être historique ». Cela ne signifie pas seulement qu’il est soumis au temps, comme tous les êtres vivants de notre monde. L’homme est un être historique parce qu’il est capable d’insérer dans sa vie le temps, le transitoire, le passé et d’en faire une dimension particulière de son existence temporaire. Il en est ainsi dans les différents domaines de la vie humaine. Chacun de nous a sa propre histoire qui commence au jour de sa naissance. En même temps, chacun de nous, à travers l’histoire, fait partie de la communauté. L’appartenance de chacun de nous, en tant qu’ « être social », à un groupe ou à une société déterminée, s’opère toujours par l’histoire, dans une certaine dimension historique.
C’est ainsi que les familles, les nations ont aussi leur histoire. L’une des tâches de la famille est de se rattacher à l’histoire et à la culture de la nation, et en même temps de prolonger cette histoire dans l’éducation.
Lorsque nous parlons de l’anniversaire de la fondation de Rome, nous nous trouvons devant une réalité encore plus vaste. Ceux pour qui la Rome d’aujourd’hui est leur ville, leur capitale, ont certainement un droit et un devoir particuliers de se référer à cet événement, à cette date. Et puis, tous les Romains d’aujourd’hui savent parfaitement que ce qu’il y a d’exceptionnel dans cette ville, dans cette capitale, c’est qu’elle déborde leur propre histoire. Il faut ici remonter à un passé beaucoup plus lointain, non seulement jusqu’à l’ancien empire mais plus haut encore, jusqu’à la fondation de Rome.
Un immense patrimoine historique, différentes civilisations et cultures humaines, différentes transformations sociopolitiques nous séparent de cette date en même temps qu’ils nous y rattachent. Je dirai plus encore : la fondation de Rome ne marque pas seulement le commencement d’une succession de générations humaines qui ont habité cette ville et cette péninsule ; elle constitue aussi un commencement pour des nations et des peuples lointains qui ont conscience d’avoir un lien et une unité particulière avec la tradition culturelle latine dans ce qu’elle a de plus profond.
Moi aussi, bien que je vienne de la lointaine Pologne, je me sens lié par ma généalogie spirituelle à la fondation de Rome. Il en est de même pour toute la nation dont je suis originaire, ainsi que pour beaucoup d’autres nations de l’Europe d’aujourd’hui, et même au-delà.
2. L’anniversaire de la fondation de Rome est tout particulièrement évocateur pour nous qui croyons que l’histoire de l’homme sur la terre — l’histoire de toute l’humanité — a pris une nouvelle dimension avec le mystère de l’Incarnation. Dieu est entré dans l’histoire de l’homme en devenant homme. Telle est la vérité centrale de la foi chrétienne, qui est au cœur de l’Évangile et de la mission de l’Église. En entrant dans l’histoire de l’homme, en devenant homme, Dieu a fait de cette histoire, dans toute son extension, l’histoire du salut. Ce qui s’est accompli à Nazareth, à Bethléem et à Jérusalem est histoire et, en même temps, ferment d’histoire. Bien que l’histoire des hommes et des peuples ait suivi et continue à suivre des voies qui lui sont propres ; bien que l’histoire de Rome, alors au sommet de son antique splendeur, ait laissé passer inaperçues la naissance, la vie, la passion, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, cependant, ces événements du salut sont devenus un nouveau levain dans l’histoire de l’homme, particulièrement dans l’histoire de Rome. On peut dire qu’au moment de la naissance de Jésus, au moment où il est mort en croix et ressuscité, l’ancienne Rome, alors capitale du monde, a connu une nouvelle naissance. Ce n’est pas par hasard que nous la trouvons déjà si profondément insérée dans le Nouveau Testament. Saint Luc, qui compose son Évangile comme la marche de Jésus vers Jérusalem où s’accomplit le mystère pascal, fait de Rome, dans les Actes des apôtres, le point terminal des voyages apostoliques, où se manifestera le mystère de l’Église.
Le reste nous est bien connu. Les apôtres de l’Évangile, et en premier lieu Pierre de Galilée, puis Paul de Tarse sont venus à Rome et y ont implanté l’Église là aussi. C’est ainsi que, dans la capitale du monde antique, a commencé son existence le Siège des successeurs de Pierre, des évêques de Rome. C’est aux Romains que saint Paul avait adressé sa lettre magistrale avant de venir ici, et qu’Ignace, évêque d’Antioche, a adressé son testament spirituel à la veille de son martyre. Ce qui était chrétien s’est enraciné en ce qui était romain et, après s’être développé dans l’humus romain, a commencé à croître avec une nouvelle force. Avec le christianisme, ce qui était romain a commencé à vivre une nouvelle vie, sans cesser pour autant de demeurer authentiquement « indigène ».
Comme le dit très bien d’Arcy : « Il y a dans l’histoire une présence qui fait d’elle plus qu’une simple succession d’événements. Comme dans un palimpseste, le nouveau se superpose à ce qui a déjà été écrit en lettres indélébiles et en élargit indéfiniment le sens. » (M. C. d’Arcy, S. J., The Sense of History Secular and Sacred, Londres 1959, 275.) Rome doit au christianisme une nouvelle universalité de son histoire, de sa culture, de son patri moine. Cette universalité chrétienne ( « catholique ») de Rome se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Non seulement elle a derrière elle deux mille ans d’histoire, mais elle continue à se développer sans cesse : elle arrive à de nouveaux peuples, à de nouvelles terres. C’est pourquoi les gens de toutes les parties du monde affluent bien volontiers vers Rome pour se retrouver comme chez eux dans ce centre toujours vivant d’universalité.
3. Je n’oublierai jamais les années, les mois, les jours où je suis venu ici pour la première fois. En cet endroit de prédilection, celui où je revenais sans doute le plus souvent, il y avait l’antique Forum romain, si bien conservé aujourd’hui encore. Combien il était éloquent pour moi, à côté de cet autre forum, l’église de Santa-Maria-Antiqua, construite directement sur un ancien édifice romain.
Le christianisme est entré dans l’histoire de Rome non par la violence, la force militaire, la conquête ou l’invasion, mais par la force du témoignage, payé très cher par le sang des martyrs, pendant plus de trois siècles. Il est entré par la force du levain de l’Évangile qui en révélant à l’homme sa vocation ultime et sa dignité suprême en Jésus-Christ (cf. Lumen gentium, 40 ; Gaudium et spes, 22), a commencé à agir au plus profond de l’âme pour ensuite imprégner les institutions humaines et toute la culture. C’est pourquoi cette seconde naissance de Rome est si authentique, si riche de vérité intérieure, de force et de rayonnement spirituels.
Romains de vieille souche, accueillez ce témoignage d’un homme qui est venu ici par la volonté du Christ pour y être votre évêque en cette fin du second millénaire. Accueillez ce témoignage et inscrivez-le dans votre magnifique patrimoine auquel nous participons tous. L’homme provient de l’histoire. Il est fils de l’histoire pour en devenir ensuite l’artisan responsable. Aussi, le patrimoine de cette histoire le concerne-t-il profondément. C’est un grand bien pour la vie de l’homme qui doit être rappelé non seulement à l’occasion des fêtes, mais chaque jour. Puisse ce bien toujours trouver sa juste place dans notre conscience et notre comportement ! Efforçons-nous d’être dignes de l’histoire dont témoignent ici les églises, les basiliques, et plus encore le Colisée et les Catacombes de la Rome antique.
Tels sont les vœux, chers Romains, que vous adresse, en l’anniversaire de la fondation de Rome, votre évêque que vous avez accueilli d’un cœur si ouvert, il y a six mois, comme le Successeur de saint Pierre, comme le témoin de cette mission universelle que la divine Providence a inscrite dans le livre de l’histoire de la Ville éternelle.
Au Conseil international de la catéchèse
Je voudrais adresser un mot spécial aux membres du Conseil international de la catéchèse — évêques, prêtres, religieuses et experts laïcs — qui se sont réunis ces jours-ci à Rome pour étudier l’importante question de « la formation des catéchistes » et qui, avec les supérieurs et certains membres de la Congrégation du Clergé, organisatrice de la rencontre, sont venus ici pour exprimer au Pape leur communion ecclésiale. Je vous remercie, chers frères, de votre importante présence et, plus encore, de votre volonté effective de procéder à l’ « aggiornamento » du grave et délicat domaine de la catéchèse, qui constitue certainement la tâche principale de la mission de l’Église. Le thème que vous avez choisi est trop vaste et important pour que je puisse le développer ici. Je me limiterai à une brève et simple exhortation.
J’estime que dans la formation du catéchiste, au-delà de tous les problèmes concernant la méthode et le contenu de l’enseignement, deux choses sont nécessaires : la probité de vie et la sincérité de la foi chrétienne. La préparation culturelle et l’art pédagogique ne suffisent pas pour rendre les vérités révélées accessibles à la mentalité de l’homme d’aujourd’hui. Ils sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas : il faut que le catéchiste ait une âme, qu’il vive et rende vivant tout ce qu’il enseigne. À ce propos je voudrais vous laisser, pour que vous vous en inspiriez, quelques paroles de saint Bonaventure de Bagnoregio qui, dans son Itinerarium mentis in Deum, disait aux enseignants de son temps, en un style lapidaire et limpide : « Que personne ne croie que puisse suffire l’enseignement sans le rayonnement, la spéculation sans la dévotion, l’investigation sans l’admiration, la circonspection sans l’exultation, l’activité sans la piété, la science sans la charité, l’intelligence sans l’humilité, l’étude sans la grâce divine, le brillant sans la sagesse inspirée par Dieu. » (Itinerarium mentis in Deum, Introduction, 4.)
Tout cela, naturellement, exige du catéchiste un grand amour de Jésus-Christ, notre maître. Il doit être disponible devant lui et se mettre à son écoute ; il doit marcher quotidiennement à sa suite pour pouvoir apprendre comment il parlait aux enfants, aux jeunes, aux savants et aux ignorants dans sa catéchèse continuelle.
Voilà, chers frères, les brèves pensées dont je voulais vous faire part. Que l’Esprit-Saint vous soutienne dans votre travail; que la très Sainte Vierge, Siège de la Sagesse, vous encourage dans vos difficultés. Je donne ma paternelle bénédiction à vous et à tous ceux qui, à divers titres, travaillent dans le délicat domaine de la catéchèse.
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