Voyage Apostolique en Uruguay, au Chili et en Argentine (31 mars - 12 avril 1987)
Discours au Président de la République d’ARGENTINE,
S.E.M. Raúl ALFONSIN*
6 avril 1987
Monsieur le Président de la République, Messieurs les membres du Gouvernement, Excellences, Mesdames et Messieurs,
1. Je suis heureux de pouvoir, dès le début de ma deuxième visite pastorale en cette bien-aimée nation d'Argentine, vivre cette importante rencontre à la «Casa Rosada». Je salue, avec respect et estime, son Excellence Monsieur le Président de la République – auquel je suis très reconnaissant pour ses paroles de bienvenue – les Membres de la Cour Suprême de Justice, Messieurs les Ministres et Secrétaires d'Etat, les Représentants des Partis Politiques et les autres personnes ici présentes qui accomplissent leur mission au service de leurs compatriotes.
Je veux en outre remercier encore une fois le gouvernement qui m'a aimablement invité à revenir en Argentine; et lui manifester ma satisfaction pour sa diligente et ponctuelle participation à toutes les phases de la préparation et du développement de mon voyage. Ma reconnaissance s'étend à toute la nation qui a voulu encore une fois accueillir le Pape avec son sens traditionnel et bien connu de l'hospitalité.
2. Cette visite, comme celle d’il y a cinq ans, est en harmonie avec toutes mes pérégrinations apostoliques; elle s’inscrit dans le cadre de mon ministère apostolique ou, mieux, dans celui des devoirs imposés par le Christ lui-même à Pierre et à ceux qui lui succèdent au cours des siècles : affermir ses frères dans la foi (cf. Lc 22, 32).
A cette constante motivation pastorale, vient s’ajouter dans ce voyage une circonstance de grand relief: je viens cette fois en temps de paix, avec le désir de commémorer l’heureuse conclusion de la Médiation Papale entre les peuples-frères d’Argentine et du Chili dans la controverse au sujet de la zone australe. Ces pays ont, tout deux, démontré au monde que, sur la base de leurs communes racines historiques, culturelles et chrétiennes, et grâce à la volonté de concorde de leurs gouvernements et de leurs institutions, il est possible d’édifier une paix digne, solide et juste. Ma présence actuelle dans le «Cône-Sud» du Continent américain vise en outre à resserrer encore davantage les liens de fraternité entre les peuples qui forment la grande famille latino-américaine.
3. En présence de ceux qui guident les destinées du pays et se consacrent totalement à l’activité politique, juridique et administrative, je veux attester aujourd’hui que l’Église tient en grande estime une tâche de telle importance. Le Concile Vatican II affirme que la politique est «un art très difficile, mais très noble» (Gaudium et spes, 75). Cette dignité de l’activité politique se met d’elle-même en évidence il suffit de considérer ses propres fins qui sont: servir l’homme et la communauté, et promouvoir sans cesse ses droits et aspirations légitimes. D’où résulte la priorité des valeurs morales et de la dimension éthique qu’il faut toujours sauvegarder, en dépit des contingences de l’agir humain et des intérêts opposés.
Le pouvoir politique qui constitue le lien naturel et nécessaire pour assurer la cohésion du corps social doit se fixer comme objectif la réalisation du bien commun.
Il est vrai que les différents cadres de la vie personnelle et sociale ne sont pas tous de la compétence de la politique; mais il est non moins évident que parmi les devoirs inéluctables de cette activité spécifique figurent non seulement celui de respecter dûment les légitimes libertés des individus des familles et des groupes subsidiaires, mais aussi celui de créer et de renforcer au profit de tous, les conditions sociales qui favorisent le bien authentique et complet de la personne – seule ou associée – évitant en même temps tout ce qui contredit ou entrave l’expression de ses dimensions authentiques ou l’exercice de ses droits légitimes (cf. Mater et Magistra, 65).
Dans ce vaste ensemble de conditions qui composent le bien commun de la société civile il est évident que l’État a le devoir d’accorder une toute particulière attention à la moralité publique au moyen de dispositions législatives, administratives et juridiques opportunes, qui assurent un climat social où l’on respecte les normes éthiques sans lesquelles une digne coexistence humaine se révèle impossible. C’est une tâche particulièrement urgente dans la société contemporaine, du moment qu’elle est touchée au vif par une grave crise des valeurs qui se répercute négativement sur d’amples secteurs de la vie personnelle et de la société elle-même. L’exigence immédiate de valeurs morales qui doivent à leur tour imprégner la gestion des pouvoirs publics est une option décidée en faveur de la vérité et de la justice dans la liberté qui doit se refléter dans les instruments institutionnels et légaux qui règlent la vie de la communauté civile. C’est pourquoi les autorités publiques auront toujours l’inéluctable devoir de protéger et promouvoir le droits de l’homme, même dans des situations d’extrêmes antagonismes, fuyant la fréquente tentation de répondre à la violence avec la violence.
D’autre part la protection constante de la moralité publique est inséparable des autres fonctions de l’État. Nous savons parfaitement, en effet, qu’une dégénération progressive de la moralité publique crée des dangers plus ou moins latents qui menacent les droits et les libertés de l’homme et, de même, la sécurité de la communauté; en outre se trouvent remises en question d’importantes valeurs de l’éducation et de la culture commune, et, en définitive, sont endommagés les idéaux qui donnent cohésion et signification à la vie nationale. Le plein rétablissement des institutions démocratiques constitue un moment privilégié pour que les Argentins soient toujours davantage conscients du fait qu’ils sont appelés à participer d’une manière responsable à la vie publique, chacun à sa propre place. En exerçant leurs droits et en accomplissant leurs devoirs civiques, ils contribueront de manière décisive au bien commun du pays. Plaise à Dieu que de cette manière se développe un sens rénové de la fraternité sociale comme il incombe aux membres vivants de cette grande communauté qu’est la patrie argentine!
4. L’Église reconnaît, respecte et encourage la légitime autonomie des réalités temporelles et, spécifiquement, de la politique. Sa propre mission la place sur un plan différent: elle est «signe et sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine» (Gaudium et Spes, 76).
Toutefois, le message chrétien apporte une bonne nouvelle pour tous et donc également pour le monde politique, économique et juridique. Quand, dans le cadre de sa propre mission, l’Église proclame la doctrine chrétienne ou exprime des jugements de caractère moral sur les réalités d’ordre politique, et quand elle favorise la promotion de la dignité et des droits inaliénables de l’homme, elle vise surtout le bien intégral de la communauté politique et, enfin, le bien intégral de la personne. L’Église reconnaît en même temps que, dans le vaste domaine des questions politiques, c’est aux laïcs catholiques qu’il appartient de choisir, face à des questions qui peuvent donner lieu à des solutions diverses, celles qui se démontrent compatibles avec les valeurs évangéliques. En union avec tous les hommes qui désirent promouvoir le bien de la communauté, ils ont la grande responsabilité de chercher et d’appliquer des solutions vraiment humaines aux défis lancés par les temps nouveaux et la coexistence sociale L’Église participe aux meilleures as pirations des hommes et leur propose ce qui leur est propre: «Une vision globale de l’homme et de l’humanité» (Populorum Progressio, 13).
Tant l’État que l’Église, chacun dans son propre domaine et avec ses propres moyens, sont au service de la vocation personnelle et sociale de l’homme. S’ouvre ainsi un grand espace pour le dialogue et pour les différentes formes de collaboration, toujours basés sur le respect réciproque de la propre identité et des propres fonctions de chacune des deux institutions.
L’histoire désormais longue de votre patrie, liée par des liens multiples à l’héritage chrétien qu’elle a reçu, le démontre de manière très éloquente. Dans cette trajectoire se sont progressivement structurées les conditions propices pour rendre particulièrement féconde la collaboration entre l’Église et la communauté politique. J’espère qu’à l’avenir, avec créativité et dynamisme, ne feront que se développer cette aide cette compréhension et ce respect réciproques manifestés sous des formes adéquates de coopération qui se traduira en bénéfice également pour l’activité politique et montrera la force intégrative de l’action – toujours avec une fin transcendante – de l’Église «experte en humanité» selon l’heureuse expression de mon prédécesseur, le Pape Paul VI.
La poursuite incessante de ces objectifs apportera des résultats extrêmement positifs à tous les fils de cette terre et, en vertu de l’ouverture au reste du monde qui vous caractérise, ceci constituera un précieux témoignage, et en plus aura une notable influence, dans le noble dessein de construire une civilisation de la vérité et de la justice, de l’amour et de la liberté.
5. En ce moment de particulière importance pour l'avenir du pays, vous avez de bonnes raisons pour considérer l'avenir avec espérance: vous avez la vigueur d'une nation jeune qui a accumulé de multiples et riches expériences historiques. Je recommande au Dieu Tout-Puissant, par l'intercession maternelle de Notre-Dame de Lupin, cette nouvelle étape de votre vie nationale pour que l'Argentine aborde le Vème centenaire du début de l'évangélisation de l'Amérique et le troisième millénaire de l’ère chrétienne avec maturité et une sagesse rénovées, avec une vigueur et un optimisme croissants. Je suis convaincu que de cette manière votre nation, qui occupe une place importante dans le cadre de la communauté internationale, continuera à produire de nombreux fruits de coexistence humaine et chrétienne, ici et dans le monde entier.
Que la Bénédiction du Très-Haut descende sur vous tous, sur vos familles, sur vos nobles activités et sur tous les hommes et femmes d'Argentine que vous voulez servir.
*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.18 p.11.
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